Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/135

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le même arrangement que vous me le dites, cinq ou six heures après avoir vu le cardinal de Noailles, et me défendit d’en parler à qui que ce soit. Je vois cependant que vous en êtes de point en point instruit ; que puisque vous l’êtes, d’autres le peuvent être de même ; et qu’il est bien douloureux à un honnête homme accoutumé aux plus importants secrets, d’être chargé de ceux qui se communiquent à d’autres, et de pouvoir ainsi être confondu avec ceux qui ne les gardent pas. » Là-dessus il me raconta que, la même chose lui étant arrivée une autre fois, il s’en fut aussitôt le dire au roi, et le supplier de ne le pas rendre responsable de ce dont il s’ouvriroit à d’autres qu’à lui, sur quoi le roi lui avoit avoué qu’il en avoit aussi fait part à une autre personne. J’approuvai sa colère, mais je le priai de ne se pas servir du même remède.

Plus certain encore, si faire se pouvoit, par le récit de Chamillart, d’où le coup étoit parti, j’en fis avertir le Charmel. Il étoit déjà parti. Il est difficile de comprendre avec combien d’humilité et de douceur cet homme, naturellement impétueux, reçut sa lettre de cachet et ce garde à vue, et avec quelle ponctualité il obéit. J’essayai divers moyens de le faire revenir, mais l’aigreur étoit trop grande. Le Charmel eût été bien aise de recouvrer sa liberté, mais il ne voulut pas y contribuer en rien, persuadé qu’il devoit se tenir fidèlement sous la main de Dieu dans une pénitence qu’il n’avoit pas choisie, dans un pardon effectif de ceux qui l’y avoient confiné, et dans une paix profonde. Beauvau, fils de sa sœur et son héritier, marié en Lorraine, et qui sous le nom de M. de Craon y a fait, lui et sa femme, une si énorme fortune, pointoit déjà dans cette faveur qui lui a valu tant de millions et de titres. Le duc de Lorraine s’offrit de s’intéresser pour le Charmel auprès du roi. Il l’en remercia et le supplia de le laisser dans l’état où Dieu l’avoit mis, et où il demeura le reste de sa vie qui dura encore longtemps. Nous verrons à sa fin combien tout adoucissement