Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/162

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lui tourna la tête ; l’ambition le saisit. Il se piqua de quelque pillage qui lui fait reproché de la cour, tandis qu’il en voyoit faire sans cesse de bien plus considérables à d’autres à qui on ne disoit mot, parce qu’ils étoient plus appuyés. Il avoit épousé une vieille femme avec qui il ne vivoit point, dont il n’avoit point d’enfants, et qui avoit été gouvernante des filles d’honneur de Madame tant qu’elle en avoit eu. C’étoit pour le plus un très simple gentilhomme et fort court d’esprit. Il s’en alla à Venise pendant l’inaction de l’hiver ; il y fit son traité et en partit pour Vienne, avec le même grade militaire chez l’empereur qu’il avoit ici.

Ces deux passèrent aux ennemis en mars. Quinze jours après Langallerie, le chevalier de Bonneval, qui étoit aussi allé à Venise, en fit autant. C’étoit un cadet de fort bonne maison, avec beaucoup de talents pour la guerre, et beaucoup d’esprit fort orné de lecture, bien disant, éloquent avec du tour et de la grâce, fort gueux, fort dépensier, extrêmement débauché, grand escroc et qui se peut dire sans honneur ni conscience, fort pillard. Il avoit rudement vexé ces petits princes d’Italie que nous ménagions assez mal à propos, comme il y a bien paru depuis. Il avoit pris aussi assez d’argent des contributions ; les plaintes des princes et des trésoriers lui attirèrent des lettres de Chamillart, qui lui voulut faire rendre gorge. Il avoit un régiment d’infanterie. Il y eut ordre de lui retenir tout ce qu’il pouvoit toucher, en attendant qu’on pût lui faire payer le reste. La misère et le dépit lui firent faire son traité ; et, comme Langallerie, il partit de Venise pour Vienne, où le prince Eugène en fit son favori, et le fit avancer fort vite aux premiers grades, dont nous verrons qu’il eut tout lieu de se repentir. Fort peu après les avoir présentés à l’empereur et à sa cour ; le prince Eugène partit de Vienne pour venir commander en Italie. Il les y mena tous deux avec lui, et ils y servirent sous ses ordres. Le roi leur fit aussi faire leur procès comme il venoit de le faire faire au prince d’Elboeuf, et tous deux,