Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/19

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deux équipages et les brûla après pour que les ennemis n’en profitassent point, qui après cette victoire entrèrent à Gibraltar et y jetèrent tout ce qu’ils avoient apporté. Le roi reçut cette mauvaise nouvelle le 5 avril. Cinq jours après, le petit Renault arriva de ce siège pour lui en rendre compte. Il y avoit déjà du temps que le roi pressoit pour qu’on le levât, et que le roi d’Espagne s’opiniâtroit à le continuer. Enfin, le 6 mai, il arriva un courrier dépêché de Séville par le maréchal de Tessé, qui apprit la levée du siège dont il avoit retiré tout le canon, et que Villadarias étoit demeuré devant cette place avec dix pièces de canon seulement et ce peu de troupes espagnoles qui lui restoient, moins nombreuses de moitié que la garnison de la place. Ce fut huit jours après cette nouvelle que Maulevrier arriva. À la fin de ce même mois de mai, le petit Renault fut renvoyé à Cadix pour y demeurer pendant toute la campagne. Il étoit chef d’escadre et avoit fort la confiance du roi.

On ne l’appela jamais que le petit Renault, de sa taille singulièrement petite, mais bien proportionnée et jolie. Il étoit Basque, et il étoit entré tout jeune à Colbert du Terron, intendant de marine à la Rochelle, qui, ayant voulu acheter Rochefort et le seigneur s’étant opiniâtré à ne le point vouloir vendre, de dépit y voulut être plus maître que lui. Il persuada à la cour, où son nom alors l’appuyoit fort, que c’étoit le lieu du monde le meilleur pour en faire un excellent port et le plus propre aux constructions des navires. On le crut, on y dépensa des millions. Du Terron, par ce moyen, devint le maître et le tyran du lieu et du seigneur qui n’avoit pas voulu le lui vendre. Mais quand tout fut fait, il se trouva une telle distance de ce lieu à la mer, un coude entre autres si fâcheux, et la Charente si basse, que les fort gros vaisseaux ne pouvoient y aller de la mer, ni de Rochefort à la mer, et que les autres n’y pouvoient aller qu’avec leur lest et désarmés, encore avec deux vents différents pour en faire le trajet. Il n’eût pas été difficile de voir ce défaut,