Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/273

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M. de Beauvilliers avoit deux frères du second mariage de son père, qu’il avoit élevés avec ses enfants, et qui étoient tous quatre à peu près de même âge. L’aîné voulut être d’Église, et y voulut persévérer lorsque les deux fils de M. de Beauvilliers moururent. Le cadet étoit à Malte pour faire ses caravanes ; M. de Beauvilliers, qui n’avoit plus que lui, l’en fit revenir pour en faire désormais son fils unique. Il arriva ; M. et Mme de Beauvilliers conjointement lui firent de grandes donations, et M. de Beauvilliers lui céda son duché, lui fit prendre le nom de duc de Saint-Aignan et le maria à la fille unique de Besmaux, extrêmement riche. Sa mère étoit fille de Villacerf, son père étoit mort jeune. Besmaux, père de celui-là, étoit un gentilhomme gascon qui avoit été capitaine des gardes du cardinal Mazarin, et depuis très longtemps gouverneur de la Bastille, où il s’étoit extrêmement enrichi. Il avoit toujours conservé de la considération du roi et de la confiance personnelle. Avant qu’être riche, il avoit marié sa fille à Saumery, sous-gouverneur des princes, par la protection et le choix de M. de Beauvilliers. C’est celle dont j’ai parlé à l’occasion de M. de Duras. Sa nièce, héritière sans père ni mère et le vieux Besmaux mort il y avoit longtemps, dépendoit de sa tante paternelle et de Villacerf, premier maître d’hôtel de Mme la duchesse de Bourgogne, son oncle maternel.

Le mariage fut donc bientôt fait. M. et Mme de Beauvilliers les prirent chez eux à Versailles comme leurs enfants ; Mme de Beauvilliers les traita de même. La conduite toujours suivie qu’elle eut avec eux fut le chef-d’œuvre de l’amitié conjugale. Elle se livra à cette éducation avec un courage héroïque. Je l’ai vue bien des fois, étant seul avec elle les soirs, les envoyer chercher sur le point que le plus court et le plus intime particulier alloit arriver pour souper, que les grosses larmes lui tomboient des yeux, m’avouer ce que lui coûtoit le souvenir de la mort de ses enfants, renouvelé à tous moments par le fils et la belle-fille postiches ;