Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/362

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que cet énoncé injurieux étoit l’ouvrage de son maître, auquel un subalterne comme lui n’eût pas osé attenter. De cette sorte fut expédiée une autre patente, sans que l’injure de la précédente pût s’effacer du cœur du maréchal, qui ne manqua, pas de prétextes différents et moins humiliants pour colorer sa haine.

S’il eût su céder au temps et embrasser de bonne grâce le sauve l’honneur que nous avons vu le roi lui présenter avec tant de bonté et d’affection, après toutes ses fautes, il fût revenu à la cour plus puissant et plus en faveur que jamais. On a vu (t IV, p. 59 et suiv.) qu’au retour de sa prison de Gratz il ne tint qu’à lui d’entrer au conseil en quittant la guerre, et le salutaire conseil que lui en donna son ami le chevalier de Lorraine, et avec quel travers insensé il le refusa. La maréchale de Villeroy me l’a avoué depuis avec une douleur amère. Le bon est qu’il est certain que sans qu’il ait été depuis nulle mention de lui communiquer aucune affaire étrangère, il voulut quitter la guerre l’hiver qui précéda la bataille de Ramillies, et c’étoit alors la quitter pour rien ; qu’il fit tout ce qu’il put pour engager le roi à disposer du commandement de l’armée de Flandre, et lui permettre de demeurer auprès de lui, et qu’il ne put jamais l’obtenir. C’est ainsi que la plus haute faveur montre ce que vaut celui qui la possède, et se trouve toujours inférieure à quelque peu de sens que ce soit. La fin de tout ceci fut que le duc de Villeroy ne servit plus, et que Chamillart se rabattit sur le fils, n’ayant pu pousser à bout le père. Il en coûta dans la suite au duc de Villeroy le bâton de maréchal de France qu’il vit donner à de ses camarades qui ne l’avoient pas mieux mérité que lui, et qui n’en étoient pas plus capables, mais qui avoient toujours continué à servir.