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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/385

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Harlay étoit un petit homme, maigre, à visage en losange, le nez grand et aquilin, des yeux de vautour qui sembloient dévorer les objets et percer les murailles ; un rabat et une perruque noire mêlée de blanc, l’un et l’autre guère plus longs que les ecclésiastiques les portent ; une calotte, des manchettes plates comme les prêtres et le chancelier. Toujours en robe, mais étriquée, le dos courbé, une parole lente, pesée, prononcée, une prononciation ancienne et gauloise ; et souvent les mots de même, tout son extérieur contraint, gêné, affecté ; l’odeur hypocrite, le maintien faux et cynique, des révérences lentes et profondes, allant toujours rasant les murailles, avec un air toujours respectueux mais à travers lequel pétilloit l’audace et l’insolence, et des propos toujours composés, à travers lequel sortoit Toujours l’orgueil de toute espèce, et tant qu’il osoit, le mépris et la dérision.

Les sentences et les maximes étoient son langage ordinaire, même dans les propos communs ; toujours laconique, jamais à son aise, ni personne avec lui ; beaucoup d’esprit naturel et fort étendu, beaucoup de pénétration, une grande connoissance du monde, surtout des gens avec qui il avoit affaire, beaucoup de belles-lettres, profond dans la science du droit, et ce qui malheureusement est devenu si rare, du droit public ; une grande lecture et une grande mémoire, et avec une lenteur dont il s’étoit fait une étude, une justesse, une promptitude, une vivacité de repartie surprenante et toujours présente. Supérieur aux plus fins procureurs dans la science du palais, et un talent incomparable de gouvernement par lequel il s’étoit tellement rendu le maître du parlement qu’il n’y avoit aucun de ce corps qui ne fût devant lui en écolier, et que la grand’chambre et les enquêtes assemblées n’étoient que des petits garçons en sa présence, qu’il dominoit et qu’il tournoit où et comme il le vouloit, souvent sans qu’ils s’en aperçussent, et quand ils le sentoient sans oser branler devant lui, sans toutefois avoir jamais donné accès à aucune liberté ni familiarité avec lui à personne