Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/425

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

dont chacun des deux étoit très praticable. Mais il étoit écrit que les ténèbres dont nous étions frappés s’épaissiroient de plus en plus, et que le nombre et l’énormité de nos fautes entassées les unes sur les autres en Italie, la campagne dernière, seroient comblées par celle de son entier abandon.

Pour ce dernier parti, on eut peur d’offenser un pape foible et une république infidèle qui avoit toujours favorisé ouvertement les Impériaux, et un pape qui, bien que de mauvaise grâce, n’avoit osé résister à leurs volontés. Ces deux si médiocres puissances sentoient bien alors la faute qu’elles avoient faite, et trouvoient les Impériaux devenus de beaucoup trop forts ; mais cette même raison les tenoit en crainte, je n’oserois dire et nous avec eux. Le trajet étoit court, facile, sans obstacle quelconque à appréhender, et toujours dans l’abondance, et Naples et Sicile étoient sauvées. On en eût été quitte pour des cris de politique et pour des excuses de même sorte. On s’en fit des monstres ; on aima mieux regarder tout d’un coup Naples et Sicile comme perdues.

L’autre parti fut considéré comme trop hasardeux.

On fit à l’égard de Médavy et de ses troupes coupées d’avec la France, comme ces mères, tendres jusqu’à la sottise, qui ne veulent pas laisser aller leurs enfants faire ou essayer fortune par des voyages de long cours, dans la crainte de ne les revoir jamais. On oublia la conduite des grands rois et des grands capitaines qui, après les plus désespérés revers, se sont roidis à se soutenir contre la fortune, et par un léger levain sont parvenus, à force de courage, d’art, de savoir se passer, se cantonner, se maintenir, à changer la face des affaires et à en sortir heureusement et glorieusement.

Vaudemont avoit le commandement d’honneur ; Médavy, qui portoit tout le poids, l’avoit en effet. Le Milanois ne rapportoit plus à Vaudemont l’autorité ni l’argent qui le rendoient grand, depuis le malheur de Turin. Il avoit des sommes immenses qu’il ne vouloit pas hasarder. On a vu