Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 5.djvu/49

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le plus dû à la prudence, à la vigilance, à la valeur et à la capacité de Vendôme. On se garda bien de parler de cassine, et en Italie d’en faire mention. On ne sut ce fait que par le retour des officiers généraux et particuliers, de ceux qui eurent permission de faire un tour à Paris ou chez eux. Les uns le contèrent, les autres l’écrivirent à leurs amis de leur province, se croyant là en sûreté contre la poste de l’armée d’Italie, et tous ne se pouvoient lasser d’admirer que leur général pût avoir recueilli tant d’applaudissements de ce qui, en tout genre, lui méritoit tant de blâme.

Dès qu’après le combat il revit son frère, il ne put s’empêcher de lui demander pourquoi il avoit quitté le poste dont il l’avoit chargé ; quoiqu’il le fît avec mesure, l’orgueilleux cadet, qui se sentoit sans excuse, ne le paya que d’emportement devant tout le monde. Vendôme, avec qui il ne conservoit presque que de l’extérieur depuis qu’il lui avoit ôté, et à l’abbé de Chaulieu, le pillage de ses affaires, et qui lui avoit causé tant d’inconvénients toute cette campagne, se trouva hors d’état, et peut-être de volonté de l’excuser pour se délivrer d’un si fâcheux second. La désobéissance étoit formelle, la poltronnerie publique par sa fuite, et le crime complet par la licence d’emmener des troupes pour s’en faire garder dans la cassine si éloignée où il s’étoit relaissé. La brouillerie des deux frères éclata. Le grand prieur n’osant plus se montrer redoubla de crapule obscure ; mais peu après il reçut un ordre de quitter l’armée et de repasser les monts. Il s’en vint droit à Lyon, puis, par permission qu’il dut à son frère, à sa maison de Clichy, près de Paris, d’où il prétendit être admis devant le roi à se justifier. Il le demanda avec une hauteur et une audace qu’avoit nourries l’expérience du pouvoir de sa naissance et de tout ce qu’elle lui avoit fait pardonner. Pour cette fois il se trompa. Le roi ne voulut ni le voir ni l’entendre, et ne le revit jamais. Plus outré du châtiment, quelque léger qu’il fût, que honteux de ce qui l’avoit mérité, il retourna à Lyon et avec la permission