Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/159

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désagréments continuels, accoutumé de longue main à trouver des distinctions partout, et la crainte du vide et de l’ennui. Il y avoit longtemps que le duc et la duchesse de Villeroy m’avoient dit qu’il leur en avoit parlé. Ils ne laissoient pas de s’ennuyer de la lenteur de sa résolution, et ils s’en consoloient dans la crainte d’un refus qui deviendroit une exclusion. L’espérance, fondée sur un reste de bonté pour le maréchal, étoit légère après tout ce qui s’étoit passé. Le duc de Villeroy, dans toute la faveur de son père, n’avoit jamais cessé de sentir que ses lettres en Hongrie n’étoient point effacées ; il ne s’apercevoit pas moins que Mme de Maintenon n’étoit jamais bien revenue pour lui depuis l’affaire de Mme de Caylus. Parmi ces angoisses, le maréchal de Villeroy, qui depuis quelque temps ne leur parloit plus de rien, prit enfin sa résolution, et la veille des Rois, au retour de la messe du roi, il s’approcha de lui dans son cabinet pour lui demander à se démettre de sa charge en faveur de son fils. À peine en eut-il commencé la proposition, que le roi, qui vit d’abord où elle tendoit, l’interrompit, et se hâta de lui accorder sa demande, tant il se sentit soulagé de se défaire de lui comme que ce fût, dans une fonction si intime et si continuelle pendant le quartier, et néanmoins si fréquente encore dans les autres quartiers par mille détails. Ainsi, ce que la faveur du maréchal la plus déclarée n’avoit pu obtenir de lui-même, ce qu’elle n’eût peut-être pas arraché du roi avec son goût pour le père et ses anciennes répugnances pour le fila, que les nouvelles n’avoient pas raccommodées, tout céda à la disgrâce du maréchal de Villeroy, et à la peine que le roi avoit à le supporter.

Le duc de Villeroy étoit ce jour-là avec Monseigneur qui couroit le daim au bois de Boulogne. La nouvelle lui fut portée sans qu’il voulût la croire avant d’en avoir reçu des avis redoublés. Je ne vis jamais de gens si aises que la duchesse de Villeroy et lui, et nous nous rappelâmes avec plaisir ce souper si plein de larmes de la duchesse, et des