Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/355

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mille hommes, pleine de courage, et s’en tenoit sur ces généralités sans entrer en rien. Ils blâmèrent l’imprudence du comte d’Évreux, et M. de Bouillon alla porter cette lettre au roi, et lui faire une apologie, dont le besoin et le fréquent usage de sa race leur ont donné à tous une grande expérience. Mais cette seconde lettre en disoit trop peu pour pouvoir passer pour la première. Il se trouva des gens charitables qui le firent sentir au roi et à Mme de Maintenon, et qui leur contèrent le tour de politique et de sagesse de Mme de Bouillon, de sorte qu’ils n’en furent pas les dupes. Pour Mgr le duc de Bourgogne, [il] le fut ou le voulut bien être tout du long. Il reçut les apologies et les protestations du comte d’Évreux, et chercha à lui faire oublier le dégoût de la réprimande que le roi lui avoit fait faire, par lui marquer des bontés et des distinctions qui scandalisèrent étrangement contre lui, et qui refroidirent à son égard l’armée, et beaucoup de ceux qui tenoient pour lui à la cour.

La cabale fut étourdie de voir Mme de Maintenon échapper à M. du Maine, et se dévouer à Mme la duchesse de Bourgogne, de ce que le roi avoit dit au conseil qui, avec raison, en étoit regardé comme le fruit, et des lettres que Chamillart avoit eu ordre d’écrire. Mais, réflexion faite, ils trouvèrent que le peu que le roi avoit dit et fait répondoit peu à ce qu’il devoit à son petit-fils, et à ce qu’il donnoit toujours à l’empire qu’il avoit laissé prendre à Mme de Maintenon sur lui. Ils en conclurent que le roi avoit été entraîné plutôt qu’aigri, et qu’en tenant ferme, ils l’embarrasseroient entre son goût si décidé pour M. du Maine, pour M. de Vendôme, pour la bâtardise en général, pour ses valets principaux en particulier, et sa déférence d’habitude pour Mme de Maintenon, et son amitié d’amusement pour Mme la duchesse de Bourgogne ; et que, s’ils pouvoient tenir bon comme ils avoient commencé, le roi se laisseroit moins aller à l’une et à l’autre qu’il ne s’en trouveroit importuné et fatigué, et assez peut-être pour leur fermer la bouche. Au pis aller, ils