Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 6.djvu/464

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de foudre. Il n’osa rien dire à sa justification. Il sortit du cabinet en bégayant, mais plein de trouble, pâle et défait. Malgré sa douleur, peut-être se flattoit-il déjà de cette douce pensée que l’aventure étoit belle, que ce crime étoit honorable et qu’il n’étoit pas honteux d’en être accusé. Toute la cour fut aussitôt remplie de cet événement, et les ruelles des dames retentissoient du bruit de ces royales paroles. On fut longtemps que le nom de Jarzé s’entendoit nommer dans Paris, et les provinces en eurent bien vite leur part. Beaucoup de gens blâmèrent la reine d’avoir voulu montrer ce ressentiment, et disoient qu’elle avoit fait trop d’honneur à Jarzé d’avoir daigné se raboisser jusqu’à cette colère, et que la dignité de la couronne en avoit été blessée. Aussi peut-on dire pour réparer cette petite faute, qu’elle ne l’auroit pas faite, si elle n’y avoit été forcée par les craintes du ministre, qui, voyant Jarzé fidèle à M. le Prince, ingrat envers lui, ne pouvoit pas manquer de croire que, sous cette affectation de bouffonnerie, il y avoit quelque malignité frondeuse contre sa fortune. »

Mme de Motteville, comme on le voit, ne soupçonnoit pas à quel point Anne d’Autriche étoit dominée par son ministre, et que la scène qu’elle venoit de raconter avoit été arrangée par le cardinal jusque dans ses moindres détails. Cet exemple suffit pour montrer quel intérêt présentent les carnets de Mazarin comme document historique. Déjà un écrivain célèbre en a signalé l’importance pour l’année 1643[1] ; mais il est à regretter qu’aucun des historiens de la Fronde n’ait tiré parti de ces carnets. C’est en effet pour cette époque qu’ils fournissent le plus de renseignements. Le cardinal y consigne jour par jour ses pensées, ses projets, ses conversations. On ne trouve dans ces notes rapides aucune des réticences qu’impose la correspondance officielle ; c’est l’épanchement du cœur, la révélation complète du génie et des faiblesses de l’homme qui tenoit dans ses mains les destinées de la France.


III. extrait des papiers du duc de noailles.[2]


Pages 302 et suiv.


J’ai déjà fait remarquer[3] que les papiers du duc de Noailles conservés à la bibliothèque impériale du Louvre fournissent de curieux renseignements pour contrôler les Mémoires de Saint--

  1. Voy. les articles de M. Cousin dans le Journal des Savants (1854, 1855 et 1856).
  2. Voyez les articles de M. Cousin dans le Journal des Savants (1854, 1855 et 186)
  3. Bibl. impér. du Louvre, ms., F. 325.