Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/117

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pour mieux accompagner Rouillé en Hollande. Chamillart avoit ouï dire et vu, depuis que le billard l’avoit introduit à la cour, et qu’une charge d’intendant des finances l’en avoit approché, que M. de Louvois faisoit les charges de tout le monde et surtout de ses confrères tant qu’il pouvoit, et souvent de haute lutte. Successeur de sa charge et de celle de Colbert, et plus avant que ni l’un ni l’autre ne furent jamais dans le goût et l’affection du roi, il s’imagina que l’Imitation de Louvois en ces entreprises étoit un droit de sa place ou de sa faveur, et il n’omit rien pour en user de même. Ç’avoit été une des causes principales et des plus continuelles qui l’avoient tenu toujours si brouillé avec Pontchartrain. Il essaya plus d’une fois d’embler aussi la besogne du chancelier, qui, lui étant plus étrangère qu’aucune et appartenant à un homme plus affermi et plus relevé, l’avoit forcé autant de fois à lâcher prise. Je ne me suis pas amusé à rendre tous ces détails trop longs et trop fréquents ; il suffit de les marquer en gros.

À l’égard de Torcy, il s’étoit mis dans la tête de lui ôter les négociations de la paix, dont toutefois Torcy étoit le seul ministre, et privativement à tout autre par son département. Chamillart, du su du roi, tenoit des gens en Hollande, et partout ailleurs, qui faisoient des ouvertures et des propositions, et qui surtout décrioient ceux que Torcy y employoit à même fin, le disoient un homme de paille par qui rien ne réussiroit. Ceux de Torcy, et lui-même ne s’épargnoient pas à lui rendre la pareille et à ses employés, tellement qu’on eût dit que ces gens servoient dans les pays étrangers des ministres de différents maîtres dont les intérêts étoient tout opposés. Ces manières de se croiser donnoient dans ce pays-là un spectacle tout à fait ridicule, et encore plus nuisible aux affaires ; une opinion sinistre de la cour et de notre gouvernement : enfin aux personnages à qui ces gens-là étoient adressés, ou auprès de qui ils s’insinuoient, un grand embarras à traiter pour ceux qui l’auroient voulu sincèrement ;