Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/140

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ignorant et trop incapable d’apprendre pour leur faire le moindre honneur, ni le plus léger profit. Évêque, il imposa avec raison par la pureté de ses mœurs, par son zèle, par sa résidence et son application à son diocèse, et y devint illustre par les prodiges qu’il y fit dans le temps de la peste, et après par le refus de l’évêché de Laon, pour ne pas quitter sa première épouse.

Son aveuglement pour les jésuites, et son ignorance qui parut profonde à surprendre, le livra avec fureur à la constitution [1] dont il pensa être cardinal. Mais au fait et au prendre, il falloit aux Romains et aux Jésuites un homme dans cette dignité dont ils pussent faire un autre usage que de dire ce qu’ils lui auroient soufflé à mesure, et de signer avec abandon tout ce qu’ils lui auroient présenté. Si un homme aussi pur d’intention et aussi distingué par tout ce que je viens de dire, avoit pu se déshonorer, il l’auroit été par son fanatisme sur la constitution, par les écrits étranges en tout sens qu’il adopta et signa comme siens, et surtout par le personnage indigne en lui, infâme en tout autre, qu’il fit en ce brigandage d’Embrun [2].

M. de Lauzun fut aussi aise de l’épiscopat de son neveu que l’auroit pu être le plus petit bourgeois, tant les plus petites choses qui avoient l’air de grâces lui étoient sensibles.

  1. Le mot constitution signifie, dans ce passage, une décision des papes. Il s’agit de la constitution Unigenitus, sur laquelle Saint-Simon revient souvent et avec de longs détails.
  2. Le concile d’Embrun, présidé par l’archevêque d’Embrun, Guérin de Tencin, condamna Soanen, évêque de Sénez, le 29 septembre 1727. On peut consulter sur cette question l’Histoire du concile d’Embrun, publiée en 1728 et composée par un défenseur de Soanen, et le Journal du même concile, publié en 1727 par un partisan de Tencin.