Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

appela M. le Duc qui pleuroit, régla tout avec lui et avec Mme la Princesse, la congédia avec des marques d’estime et d’amitié, et lui dit où étoit son testament. Il retint M. le Duc, avec qui il ne s’entretint plus que des honneurs qu’il vouloit à ses obsèques, des choses omises à celles de M. son père qu’il ne falloit pis oublier aux siennes, et même y prendre bien garde ; répéta plusieurs fois qu’il ne craignoit point la mort, parce qu’il avoit pratiqué la maxime de M. son père que pour n’appréhender point les périls de près, il falloit s’y accoutumer de loin ; consola son fils, ensuite l’entretint des beautés de Chantilly, des augmentations qu’il y avoit projetées, des bâtiments qu’il y avoit commencés exprès pour obliger à les achever après lui, d’une grande somme d’argent comptant destinée à ces dépenses et du lieu où elle étoit ; et persévéra dans ces sortes d’entretiens jusqu’à ce que la tête vînt à se brouiller. Le P. de La Tour et Pinot étoient cependant retirés à un coin de la chambre, de qui j’ai appris ce détail. Ce prince laissa une grande idée de sa fermeté, et une bien triste de l’emploi de ses dernières heures.

Finissons par un trait de Verrillon, que tout le monde a tant connu, et qui étoit demeuré avec lui après avoir été à M. son père sur un pied d’estime et de considération. Pressé un jour à Chantilly d’acheter une maison qui en étoit fort proche : « Tant que j’aurai l’honneur de vos bonnes grâces, dit-il à M. le Prince, je ne saurois être trop près de vous ainsi je préfère ma chambre ici à un petit château au voisinage ; et si j’avois le malheur de les perdre, je ne saurois être trop loin de vous : ainsi, la terre d’ici près, m’est fort inutile. »

Qui que ce soit, ni domestiques, ni parents, ni autres ne regretta M. le Prince, que M. le Duc que le spectacle toucha un moment, et qui se trouva bien affranchi, et Mme la Princesse, qui eut honte de ses larmes jusqu’à en faire excuse dans son particulier. Quoique ses obsèques aient duré longtemps, achevons-les tout de suite pour n’avoir plus à y revenir :