Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce seroit manquer de respect que de les traiter autrement. On s’aperçut qu’ils le trouvoient fort bon. Nos François ne connoissent ni bornes ni barrières ; la crainte de déplaire et l’exemple de l’un à l’autre gagna. À la fin jusqu’aux officiers généraux, et les plus marqués, leur parlèrent de même. Alors, les familiers les plus huppés, qui avoient commencé, n’osèrent plus discontinuer ; et comme cette façon de leur parler étoit passée des intimes et des familiers à toute l’armée, au retour elle se communiqua à Paris et à la cour, mais y demeura dans la jeunesse et dans le subalterne. M. le duc d’Orléans, à qui toute sa vie personne n’avoit dit que Monsieur, devint à plus forte raison Monseigneur pour les mêmes. M. du Maine et M. le comte de Toulouse, si égalés en tout aux princes du sang, le furent en ce nouveau traitement d’usage, par la crainte et la flatterie des mêmes, qui pourtant ne gagna pas jusqu’aux courtisans d’un certain âge d’aucune espèce, pour aucun de ces princes. Cela dura de la sorte jusqu’à la mort du roi. Alors le grand vol que prirent M. le Duc et M. du Maine, l’un et l’autre ménagés par M. le duc d’Orléans, leur rendit le Monseigneur plus commun. On crut sentir à leurs manières que le Monsieur les blessoit, et rapidement presque personne de tout âge et de toutes conditions ne le leur dit plus, ducs, princes, étrangers, chancelier, maréchaux de France, à l’exception d’un très petit nombre, mais de qui que ce soit à l’égard du régent, qui, avec un air libre et indifférent, laissoit solider cet usage dont M. son fils devoit profiter.

Je tirai ce parti avec lui de mon ancienne et continuelle privance que de ma vie, ni en public ni en particulier, je ne lui ai dit Monseigneur. En opinant au conseil de régence, ou chez lui en des assemblées particulières, on lui adressoit toujours la parole. J’étois le seul qui lui dit Monsieur. Plusieurs fois le maréchal de Villars, quelquefois le maréchal de Villeroy, et souvent d’autres de cette distinction, m’en reprenoient en particulier, et me disoient que cette singularité