Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/174

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M. de Montausier, qui avoit été son gouverneur, et qui, tant qu’il a vécu, le servit assidûment de premier gentilhomme de sa chambre, ne lui dit jamais que Monsieur, parlant à lui, et ne se contraignit pas de déclamer contre l’usage qui s’étoit introduit de lui dire Monseigneur. Il demandoit plaisamment si ce prince étoit devenu évêque. C’est que peu auparavant, dans une assemblée du clergé, les évêques, pour tacher à se faire dire et écrire Monseigneur, prirent délibération de se le dire et se l’écrire réciproquement les uns les autres. Ils ne réussirent à cela qu’avec le clergé et le séculier subalterne. Tout le monde se moqua fort d’eux, et on riait de ce qu’ils s’étoient monseigneurisés. Malgré cela ils ont tenu bon, et il n’y a point eu de délibération parmi eux sur aucune matière, sans exception, qui ait été plus invariablement exécutée.

Monseigneur fut donc Monseigneur toute sa vie, et le nom de Dauphin éclipsé. C’est le premier et jusqu’à présent l’unique Monseigneur tout court qu’on ait connu. Longtemps après que l’usage de ne lui dire plus que Monseigneur, parlant à lui, fut universellement établi, M. le Duc et M. le prince de Conti, ou de hasard ou de familiarité avec eux, ou d’adresse, commencèrent à être quelquefois appelés Monseigneur, à l’armée, par leurs principaux domestiques. L’imitation et la fatuité ont grand cours dans notre nation. De jeunes gens, et même grands seigneurs, les plus dans leur privance, croyant se donner, avec eux un air de liberté, commencèrent à faire comme leurs principaux domestiques de retour à Paris, cela continua dans le particulier et les parties de plaisir. D’une campagne à l’autre, le nombre augmenta. Quelques gens moins familiers crurent devoir en user de même ; on se moqua d’eux d’abord, comme prenant une liberté dont ils n’étoient pas à portée. Cela ne fut pas su assez à temps pour en instruire d’autres. Peu à peu les domestiques de ces princes ne leur dirent plus que Monseigneur, parlant à eux. Tout le subalterne de l’armée crut que