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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/245

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première fois depuis son retour. Soit de hasard, soit de concert, Boufflers alla le même lendemain matin chez Mme de Maintenon, où les portes lui étoient toujours ouvertes, et y trouva le maréchal de Tessé. Boufflers lui demanda s’il avoit bien rendu compte de toutes choses, Mme de Maintenon en tiers. « De toutes celles que madame m’a demandées, répondit Tessé. — Mais cela ne suffit pas, répliqua le maréchal de Boufflers, il ne lui faut laisser rien ignorer. » Et par ce petit débat la curiosité de Mme de Maintenon étant excitée, elle voulut en savoir la raison. Il y eut encore quelques circuits adroits. Boufflers demanda à Tessé s’il avoit rendu compte à madame du discours que le nonce leur avoit tenu la veille, et publiquement. Tessé ayant répondu que non d’un air à augmenter la curiosité, Mme de Maintenon voulut en être informée. Tessé lui en fit le récit, mais en se récriant que cela ne pouvoit pas être, et se fondant sur la modicité de la somme, et prise d’un étranger. Boufflers, au contraire, exagéra le crime, et tout ce dont étoit capable une femme en cette place, qui n’avoit pas honte de recevoir si peu, et d’un étranger ; combien de malversations elle avoit faites puisqu’elle avoit pu se porter à celle-là, comment le roi pouvoit être servi, puisqu’une affaire de cette importance s’achetoit, et ne réussissoit que par un présent ; qu’enfin une femme tentée, et succombant à si peu, l’étoit de tout, depuis un écu jusqu’à un million. Tessé peu à peu se mit doucement de la partie, et sans mettre en aucun doute la vérité de ce que le nonce leur avoit dit, ils paraphrasèrent le danger de laisser les affaires entre les mains du mari d’une femme si avide, et laissèrent Mme de Maintenon presque persuadée du fait, et ravie de la découverte.

Deux heures après, Tessé entra dans le cabinet du roi pour son audience. Boufflers, qui vit le roi de loin à l’ouverture de la porte, fit quelques pas en dedans après Tessé, et le prenant par le bras, lui dit d’un ton élevé pour que le roi l’entendit : « Au moins, monsieur, vous devez la vérité