Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/316

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par le pays même, séparément de la France, avec qui l’apparence d’union et de liaison ne pourroit pas être telle qu’avec Philippe V.

Cet aveu ne me donna pas opinion du projet, ni désir de presser pour en savoir davantage, supposé qu’il y eût dit plus. Je me rabattis dans cette crainte à remontrer à ce prince l’absurdité d’un projet si vide de sens que ce seroit perdre le temps que de s’amuser à raconter ici tout ce que je lui en dis, et démontrai bien aisément. Je lui conseillai ensuite de faire l’impossible pour pénétrer jusqu’où le roi en savoit, pour éviter de lui donner soupçon de plus en matières si jalouses, et de suites, au mieux qu’elles se tournassent, si fâcheuses en éloignement et en défiances irrémédiables, lui avouer ce qu’il lui apprendroit, ou, si le roi étoit informé, lui raconter ce qu’il venoit de me dire, surtout lui en faisant bien remarquer les bornes et l’intention ; lui demander pardon de ne lui en avoir pas fait la confidence et reçu ses ordres ; s’en excuser sur ce qu’il n’y avoit rien de mauvais dans le projet contre son service, ni contre le roi d’Espagne, et sur ce que, l’ayant su, la conscience de Sa Majesté auroit pu être embarrassée sur les renonciations à faire à la paix, si alors elles lui étoffent demandées. J’ajoutai qu’avec tout cela je ne voyois point une plus mauvaise affaire, plus triste, ni en même temps plus folle, ni plus impossible, ni un plus grand malheur pour lui que de s’y être laissé entraîner, dont toutefois, â force d’esprit, de conduite, de naissance, il falloit qu’il tâchât de sortir au moins mal qu’il se pourroit, et qu’il ne s’abandonnât pas soi-même dans le triste état d’abandon général et de clameurs les plus cruelles où déjà il se trouvoit réduit. Il goûta fort mon conseil, convint à demi de la faute et de la folie, m’avoua qu’il avoit laissé Renaut en Espagne pour la suivre, que Flotte devoit aussi s’y concerter avec lui.

Mme des Ursins avoit trop d’espions de tous les genres, elle étoit trop occupée de sa haine contre M. le duc d’Orléans,