Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/328

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mais qui ne pouvoit faire qu’il ne fût son fils, trembloit pour lui, se voyoit aisément entraîné dans sa disgrâce, conséquemment la ruine d’une famille qu’il n’auroit élevée que pour la douleur de la voir périr.

Dans cette anxiété, il me pressa d’un voyage à Pontchartrain, où j’allois assez souvent avec eux ; et là, sans peur et sans aveuglement, il me fit l’honneur de me consulter dans son cabinet, où il appela la chancelière en tiers. Là, il m’exposa ses craintes et la matière de la consultation sans s’ouvrir, pour me donner lieu de dire plus naturellement ce que je penserois. Il s’agissoit de, savoir ce qu’il feroit si son fils étoit chassé, et, ce qui étoit le moins apparent, ce que feroit son fils s’il l’étoit lui-même, enfin quel parti prendre s’ils l’étoient tous deux.

Au premier cas, mon avis fut qu’il tendit le dos à la disgrâce ; qu’il ne heurtât point le public, qui l’aimoit lui et l’honoroit, mais qui éclateroit de joie d’être délivré de son fils ; qu’il n’augmentât pas le malaise que le roi prenoit avec ceux qu’il jugeoit mécontents, mais qu’il prît sur lui de l’élargir, et sans abandonner son fils, se réservant entier à le protéger en un autre temps, et glissant sur les motifs de cette disgrâce, il se fit un mérite de la reconnoissance de n’y être pas enveloppé, et persuadât le roi qu’il se trouvoit bien traité, favorisé même, d’être, en cette occurrence, conservé entier avec les sceaux dans tous ses conseils, par conséquent dans sa confiance ; que cette conduite, à connoître le roi comme nous le connoissions, le remettroit non seulement au large avec lui, mais lui plairoit de façon à espérer de le rapprocher comme avant que Mme de Maintenon l’eût éloigné de lui, d’autant plus que-le fonds d’estime et de goût étoit demeuré jusqu’à remarquer souvent la sécheresse dont le chancelier payoit la sienne, et jusqu’à s’en être plaint plus d’une fois ; qu’outre que cette voie étoit celle de maintenir sa considération, c’étoit la seule encore qui lui prît faire espérer le retour de son fils, soit après le