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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/353

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Pour amuser ce peuple, on employa les fainéants et les pauvres à raser une assez grosse butte de terre qui étoit demeurée sur le boulevard entre les portes Saint-Denis et Saint-Martin ; et on y distribuoit par ordre de mauvais pain aux travailleurs pour tout salaire, et en petite quantité à chacun.

Il arriva que le mardi matin, 20 août, le pain manqua sur un grand nombre. Une femme entre autres cria fort haut, ce qui en excita d’autres. Les archers préposés à cette distribution menacèrent la femme : elle n’en cria que plus fort ; les archers la saisirent et la mirent indiscrètement à un carcan voisin. En un moment tout l’atelier accourut, arracha le carcan, courut les rues, pilla les boulangers et les pâtissiers. De main en main les boutiques se fermèrent. Le désordre grossit et gagna les rues de proche en pioche sans faire mal à personne, mais criant du pain ! et en prenant partout.

Le maréchal de Boufflers, qui ne pensoit à rien moins, étoit allé ce matin-là chez Bérenger son notaire, dans ce voisinage-là. Surpris de l’effroi qu’il y trouva, et en apprenant la cause, il voulut aller lui-même tâcher de l’apaiser, malgré tout ce que le duc de Grammont, qu’il trouva chez le même notaire, pût lui dire pour l’en détourner, et qui, l’y voyant résolu, alla avec lui. À cent pas de chez ce notaire, ils rencontrèrent le maréchal d’Huxelles dans son carrosse, qu’ils arrêtèrent pour lui demander des nouvelles, parce qu’il venoit du côté de l’émotion. Il leur dit que ce n’étoit plus rien, les voulut empêcher de passer outre, et pour lui gagna pays en homme qui n’aimoit pas le bruit et être fourré parmi ce désordre. Le maréchal et son beau-père continuèrent d’aller, trouvant à mesure qu’ils avançoient une grande épouvante, et qu’on leur crioit des fenêtres de retourner, et qu’ils se feroient assommer.

Arrivés au haut de la rue Saint-Denis, la foule et le tumulte firent juger au maréchal de Boufflers qu’il étoit