Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/44

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les ennemis. Cela fit grand bruit en présence de Monseigneur et de toute la cour.

On en sut après bien d’autres. Un de ses premiers accès lui arriva chez M. le prince de Conti, qui avoit la goutte, à Paris, et qui étoit auprès de son feu sur une chaise longue, mais assez reculée de la cheminée, et sans pouvoir mettre les pieds à terre. Le hasard fit qu’après quelque temps La Châtre demeura seul avec M. le prince de Conti. L’accès lui prit, et c’étoit toujours les ennemis qu’il voyoit et qu’il vouloit charger. Le voilà tout à coup qui s’écrie, qui met l’épée à la main et qui attaque les chaises et le paravent. M. le prince de Conti, qui ne se doutoit de rien moins, surpris à l’excès, voulut lui parler. Lui toujours à crier : « Les voilà ! à moi ! marche ici ! » et choses pareilles, et toujours à estocades et à ferrailler. M. le prince de Conti à mourir de peur, qui étoit trop loin pour pouvoir ni sonner ni pouvoir s’armer de pelle ou de pincettes, et qui s’attendoit à tout instant à être pris pour un ennemi et à le voir fondre sur lui. De son aveu jamais homme ne passa un si mauvais quart d’heure ; enfin quelqu’un entra qui surprit La Châtre et le fit revenir. Il rengaina et gagna la porte. M. le prince de Conti exigea le secret et le garda fidèlement ; mais il chargea le domestique qui étoit entré de ne le laisser jamais seul avec La Châtre. Il envoya prier le lendemain le duc d’Humières qu’il lui pût dire un mot de pressé, et qu’il savoit bien qu’il avoit la goutte, et ne pouvoit sortir. Il lui confia son aventure, comme au plus proche parent, pour en avertir Mme de La Châtre, l’assurer qu’elle demeureroit secrète et voir entre eux ce qu’il y avoit à faire. Il en eut depuis quantité d’autres avec un air toujours égaré, empressé, turbulent, qui le faisoit éviter, mais qu’il soutint, et qui ne le séquestra point du monde ni même de la cour. On verra en son temps ce qu’il devint.

Nous avons laissé Rome dans un cruel embarras. La ligue d’Italie n’avoit aucune exécution 5 et sa conclusion et