Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/444

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roi, outré de son désordre, et avec le monde, scandalisé à l’excès ; qu’avec elle disparaîtroient tous ses torts aux yeux d’un maître qui savoit, par une longue et funeste expérience, jusqu’où pouvoit conduire l’aveuglement d’une forte passion ; d’un père sensible pour sa fille, d’un oncle qui avoit eu de l’inclination pour son neveu, d’un bienfaiteur qui seroit ravi de trouver qu’il ne s’étoit pas mépris ; que le public suivroit la même impulsion, ainsi que les personnes royales, tous si dépendants des mouvements du roi ; qu’il n’y avoit que cette porté pour sortir et pour rentrer, qu’un plus long délai confirmeroit de plus en plus un éloignement, peut-être une aversion ; qu’en un mot, il examinât bien la chose, et qu’il vît s’il savoit mieux, ou s’il voudroit y concourir avec moi.

Le maréchal fut moins surpris de l’ouverture que saisi que c’étoit l’unique ressource de M. le duc d’Orléans. Il l’approuva sur-le-champ, quoiqu’il en sentit bien les difficultés, me promit d’être mon second ; mais comme il entroit en matière, nous vîmes passer d’Antin près de nous. Nous nous regardâmes pensant tous deux la même chose, et nous convînmes de nous quitter sur-le-champ, et de nous trouver tête à tête chez moi, à Paris, l’après-dînée du jour de Noël, pour conférer de toutes choses, et les mieux digérer ensemble, pour les conduire à une prompte exécution.

Rempli de tant de pensées importantes, je m’en allai l’après-dînée à Paris avec Mme de Saint-Simon, où je lui contai, et à ma mère, le dessein que j’avois conçu sur M. le duc d’Orléans. Il leur fit peur à toutes deux. Elles m’en dissuadèrent ; elles me dirent que jamais ce prince n’auroit la force de renvoyer sa maîtresse, ni celle de lui cacher nos efforts ; qu’elle étoit méchante, insolente, hardie au dernier point, intimement liée à la duchesse de Ventadour, à la princesse de Rohan, à toute cette dangereuse séquelle qui déjà me haïssait à cause des Soubise et des Lislebonne, liée encore aux plus méchantes femmes de Paris, et à un grand