Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/52

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pères : « Il étoit si bon, ajouta-t-il tout haut devant tous les courtisans, que je le lui reprochois quelquefois, et il me répondoit : « Ce n’est pas moi qui suis bon, mais vous qui êtes dur. » Véritablement les pères et tous les auditeurs furent surpris du récit jusqu’à baisser la vue. Ce propos se répandit promptement, et personne n’en put blâmer le P. de La Chaise.

Il para bien des coups en sa vie, supprima bien des friponneries et des avis anonymes contre beaucoup de gens, en servit quantité, et ne fit jamais de mal qu’à son corps défendant. Aussi fut-il généralement regretté. On avoit toujours compris que ce seroit une perte ; mais on n’imagina jamais que sa mort seroit une plaie universelle et profonde comme elle la devint, et comme elle ne tarda pas à se faire sentir par le terrible successeur du P. de La Chaise, à qui les ennemis mêmes des jésuites furent forcés de rendre justice après, et d’avouer que c’étoit un homme bien et honnêtement né, et tout fait pour remplir une telle place.

Maréchal, premier chirurgien du roi, qui avoit sa confiance, homme droit et parfaitement vrai, que j’ai cité plus d’une fois, nous a conté, à Mme de Saint-Simon et à moi, une anecdote bien considérable et qui mérite de n’être pas oubliée. Il nous dit que le roi dans l’intérieur de ses cabinets, regrettant le P. de La Chaise et le louant de son attachement à sa personne, lui avoit raconté une grande marque qu’il lui en avoit donnée : que peu d’années avant sa mort, il lui avoit dit qu’il se sentoit vieillir, qu’il arriveroit peut-être plus tôt qu’il ne pensoit, qu’il faudroit choisir un autre confesseur, que l’attachement qu’il avoit pour sa personne le déterminoit uniquement à lui demander en grâce de le prendre dans sa compagnie, qu’il la connoissoit, qu’elle étoit bien éloignée de mériter tout ce qui s’est dit et écrit contre elle, mais qu’enfin il lui répétoit qu’il la connoissoit, que son attachement à sa personne et à sa conservation l’engageoit à le conjurer de lui accorder ce qu’il lui