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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/61

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sa famille, honnêtes gens d’ailleurs, en étoient farcis et n’étoient mêlés à la cour avec personne. Heudicourt s’avisa de faire une chanson sur eux, si naturelle et si ridiculement plaisante, qu’on en riait aux larmes. Le maréchal de Boufflers, en quartier de capitaine des gardes, étant derrière le roi à la messe, où le silence et la décence étoient extrêmes, vit parler et rire autour de lui. Il voulut imposer. Quelqu’un lui dit la chanson à l’oreille. À l’instant voilà cet homme si sage, si grave, si sérieux, si courtisan, qui s’épouffe de rire, et qui, à force de vouloir se retenir, éclate. Le roi se tourne une fois, puis une seconde, le tout pour néant. Les rires continuèrent aux larmes. Le roi, dans la plus grande surprise de voir le maréchal de Boufflers en cet état, et derrière lui, et à la messe, lui demanda, en sortant de la chapelle, et assez sévèrement à qui il en avoit eu. Le maréchal à rire de nouveau qui lui répondit comme il put, que cela ne pouvoit lui être conté que dans son cabinet. Dès qu’il y fut entré, le roi reprit la question. Le maréchal la satisfit par la chanson, et voilà le roi aux éclats à l’entendre de sa chambre. Il fut plusieurs jours sans pouvoir regarder aucun de ces Montsoreau sans éclater, toute la cour de même. Ils furent réduits à disparaître pour quelque temps [1].

À force de boire, Heudicourt s’abrutit tout à fait, mais fort longtemps depuis la mort du roi, et s’est enfin cassé la tête sur un escalier de Versailles, dont il mourut le lendemain. Sa mère, qui mettoit les gens en, pièces, en sérieux ou en ridicule, et qui avoit toujours quelques mais accablants quand elle entendoit dire du bien de quelqu’un devant le roi ou Mme de Maintenon, ne fut regrettée que d’elle. Je disois d’elle et de Mme de Dangeau qui, dans les mêmes privantes, en étoit la contrepartie parfaite qu’elles

  1. Cette anecdote se trouve déjà dans le t. V, p. 120 ; mais le récit présente beaucoup de variantes, qui ont déterminé à le conserver.