Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 7.djvu/91

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l’âge et du rang, la proximité la plus étroite redoublée, tout avoit contribué à les faire vivre ensemble à l’armée, à la cour, presque toujours dans les mêmes lieux, quelquefois encore à Paris. Outre les causes les plus intimes, jamais deux hommes ne furent plus opposés. La jalousie dont M. le Duc fut transporté toute sa vie étoit une sorte de rage qu’il ne pouvoit cacher, de tous les genres d’applaudissements qui environnoient son beau-frère. Il en étoit d’autant plus piqué que le prince de Conti couloit tout avec lui, et l’accabloit de devoirs et de prévenances. Il y avoit vingt ans qu’il n’avoit mis le pied chez Mme la Duchesse, lorsqu’il mourut. Elle-même n’osa jamais envoyer savoir de ses nouvelles ni en demander devant le monde pendant sa longue maladie. Elle n’en apprit qu’en cachette, le plus souvent par Mme la princesse de Conti sa soeur. Sa grossesse et sa couche de M. le comte de Clermont lui vinrent fort à propos pour cacher ce qu’elle auroit eu trop de peine à retenir. Cette princesse de Conti et son beau-frère vécurent toujours avec union, amitié et confiance. Elle entendit raison sur la Choin, que le prince de Conti courtisa comme les autres, et qu’il n’y avoit pas moyen de négliger.

Avec M. du Maine, il n’y avoit que la plus indispensable bienséance ; pareillement avec la duchesse du Maine, peu de crainte d’ailleurs. M. le prince de Conti en savoit et en sentoit trop là-dessus pour ne pas s’accorder quelque liberté, qui lui étoit d’autant plus douce qu’elle étoit applaudie.

Quelque courtisan qu’il fût, il lui étoit difficile de se refuser toujours de toucher par l’endroit sensible, et qu’on n’osoit guère relever, le roi, qu’il n’avoit jamais pu se réconcilier, quelque soin, quelque humiliation, quelque art, quelque persévérance qu’il y eût si constamment employés, et c’est de cette haine si implacable qu’il mourut à la fin, désespéré de ne pouvoir atteindre à quoi que ce fût, moins encore au commandement des armées, et [d’être] le seul prince sans charge, sans gouvernement, même sans régiment,