Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/112

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Mlle Choin, et de lui dire qu’elle espéroit qu’elles se verroient, compliment bizarre d’une chambre à l’autre, sous le même toit. Elles ne se virent jamais depuis.

Versailles présentoit une autre scène : Mgr [le duc] et Mme la duchesse de Bourgogne y tenoient ouvertement la cour, et cette cour ressembloit à la première pointe de l’aurore. Toute la cour étoit là rassemblée, tout Paris y abondoit ; et comme la discrétion et la précaution ne furent jamais françaises, tout Meudon y venoit, et on en croyoit les gens sur leur parole de n’être pas entrés chez Monseigneur ce jour-là. Lever et coucher, dîner et souper avec les dames, conversations publiques après les repas, promenades, étoient les heures de faire sa cour, et les appartements ne pouvoient contenir la foule. Courriers à tous quarts d’heure, qui rappeloient l’attention aux nouvelles de Monseigneur, cours de maladie à souhait, et facilité extrême d’espérance et de confiance ; désir et empressement de tous de plaire à la nouvelle cour, majesté et gravité gaie dans le jeune prince et la jeune princesse, accueil obligeant à tous, attention continuelle à parler à chacun, et complaisance dans cette foule, satisfaction réciproque, duc et duchesse de Berry à peu près nuls. De cette sorte s’écoulèrent cinq jours, chacun pensant sans cesse aux futurs contingents, tâchant d’avance de s’accommoder à tout événement.

Le mardi 14 avril, lendemain de mon retour de la Ferté à Versailles, le roi, qui, comme j’ai dit, s’ennuyoit à Meudon, donna à l’ordinaire conseil des finances le matin, et contre sa coutume conseil de dépêches l’après-dinée pour en remplir le vide. J’allai voir le chancelier à son retour de ce dernier conseil, et je m’informai beaucoup à lui de l’état de Monseigneur. Il me l’assura bon, et me dit que Fagon lui avoit dit ces mêmes mots : « que les choses alloient selon leurs souhaits, et au delà de leurs espérances. » Le chancelier me parut dans une grande confiance ; et j’y ajoutai foi d’autant plus aisément qu’il étoit extrêmement bien avec