Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/121

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quoient plus l’émotion du spectacle que tout autre sentiment. Ils s’en allèrent, et je le remarque exprès, par ce qui bientôt après arriva en ma présence.

Quelques moments après, je vis de loin, vers la porte du petit cabinet, Mgr le duc de Bourgogne avec un air fort ému et peiné ; mais le coup d’œil que j’assénai vivement sur lui ne m’y rendit rien de tendre, et ne me rendit que l’occupation profonde d’un esprit saisi.

Valets et femmes de chambre crioient déjà indiscrètement, et leur douleur prouva bien tout ce que cette espèce de gens alloit perdre. Vers minuit et demi, on eut des nouvelles du roi ; et aussitôt je vis Mme la duchesse de Bourgogne sortir du petit cabinet avec Mgr le duc de Bourgogne, l’air alors plus touché qu’il ne m’avoit paru la première fois, et qui rentra aussitôt dans le cabinet. La princesse prit à sa toilette son écharpe et ses coiffes, debout et d’un air délibéré, traversa la chambre, les yeux à peine mouillés, mais trahie par de curieux regards lancés de part et d’autre à la dérobée, et, suivie seulement de ses dames, gagna son carrosse par le grand escalier.

Comme elle sortit de sa chambre, je pris mon temps pour aller chez Mme la duchesse d’Orléans avec qui je grillois d’être. Entrant chez elle, j’appris qu’ils étoient chez Madame. Je poussai jusque-là à travers leurs appartements. Je trouvai Mme la duchesse d’Orléans qui retournoit chez elle, et qui, d’un air fort sérieux, me dit de revenir avec elle. M. le duc d’Orléans étoit demeuré. Elle s’assit dans sa chambre, et auprès d’elle la duchesse de Villeroy, la maréchale de Rochefort et cinq ou six dames familières. Je petillois cependant de tant de compagnie ; Mme la duchesse d’Orléans, qui n’en étoit pas moins importunée, prit une bougie et passa derrière sa chambre. J’allai alors dire un mot à l’oreille à la duchesse de Villeroy ; elle et moi pensions de même sur l’événement présent. Elle me poussa et me dit tout bas de me bien contenir. J’étouffois de silence parmi les plaintes et