Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/122

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les surprises narratives de ces dames, lorsque M. le duc d’Orléans parut à la porte du cabinet et m’appela.

Je le suivis dans son arrière-cabinet en bas sur la galerie, lui près de se trouver mal, et moi les jambes tremblantes de tout ce qui se passoit sous mes yeux et au dedans de moi. Nous nous assîmes par hasard vis-à-vis l’un de l’autre ; mais quel fut mon étonnement lorsque incontinent après je vis les larmes lui tomber des yeux : « Monsieur ! » m’écriai-je en me levant dans l’excès de ma surprise. Il me comprit aussitôt et me répondit d’une voix coupée et pleurant véritablement : « Vous avez raison d’être surpris, et je le suis moi-même ; mais le spectacle touche. C’est un bon homme avec qui j’ai passé ma vie ; il m’a bien traité et avec amitié tant qu’on l’a laissé faire et qu’il a agi de lui-même. Je sens bien que l’affliction ne peut pas être longue ; mais ce sera dans quelques jours que je trouverai tous les motifs de me consoler dans l’état où on m’avoit mis avec lui ; mais présentement le sang, la proximité, l’humanité, tout touche, et les entrailles s’émeuvent. » Je louai ce sentiment, mais j’en avouai mon extrême surprise par la façon dont il étoit avec Monseigneur. Il se leva, se mit la tête dans un coin, le nez dedans, et pleura amèrement et à sanglots, chose que, si je n’avois vue, je n’eusse jamais crue. Après quelque peu de silence, je l’exhortai à se calmer. Je lui représentai qu’incessamment il faudroit retourner chez Mme la duchesse de Bourgogne, et que si on l’y voyoit avec des yeux pleureux, il n’y avoit personne qui ne s’en moquât comme d’une comédie très-déplacée, à la façon dont toute la cour savoit qu’il étoit avec Monseigneur. Il fit donc ce qu’il put pour arrêter ses larmes, et pour bien essuyer et retaper ses yeux. Il y travailloit encore, lorsqu’il fut averti que Mme la duchesse de Bourgogne arrivoit, et que Mme la duchesse d’Orléans alloit retourner chez elle. Il la fut joindre et je les y suivis.