Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/16

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entier, quoique sous le joug du comite [1] Bâville, offrit en corps d’abandonner au roi tous ses biens sans réserve, moyennant assurance d’en pouvoir conserver quitte et franche la dixième partie, et le demanda comme une grâce. La proposition non-seulement ne fut pas écoutée, mais réputée à injure et rudement tancée. Il ne fut donc que trop manifeste que la plupart payèrent le quint [2], le quart, le tiers de leurs biens pour cette dîme seule, et que par conséquent ils furent réduits aux dernières extrémités. Les seuls financiers s’en sauvèrent par leurs portefeuilles inconnus, et par la protection de leurs semblables devenus les maîtres de tous les biens des François de tous les ordres. Les protecteurs du dixième denier virent clairement toutes ces horreurs sans être capables d’en être touchés.

Quelques jours après là publication de l’édit, Monseigneur, par grand extraordinaire, alla dîner à la Ménagerie avec les princes ses enfants et leurs épouses, et des dames en petit nombre. Là, Mgr le duc de Bourgogne, moins gêné que d’ordinaire, se mit sur les partisans, dit qu’il falloit qu’il en parlât, parce qu’il en avoit jusqu’à la gorge, déclama contre le dixième denier et contre cette multitude d’autres impôts, s’expliqua avec plus que de la dureté sur les financiers et les traitants, même sur les gens de finances, et par cette juste et sainte colère, rappela le souvenir de saint Louis, de Louis XII, Père du peuple, et de Louis le Juste. Monseigneur, ému par cette sorte d’emportement de son fils qui lui étoit si peu ordinaire, y entra aussi un peu avec lui, et montra de la colère de tant d’exactions aussi nuisibles que barbares, et de tant de gens de néant si monstrueusement enrichis de ce sang ; et tous deux surprirent infiniment

  1. Les comites et non comités, comme on l’a imprimé dans plusieurs des éditions antérieures, étaient préposés aux travaux des galériens.
  2. Cinquième partie. On appelait spécialement quint un droit féodal que percevait le seigneur suzerain toutes les fois qu’une terre relevant de ses domaines passait à un nouveau propriétaire.