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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/304

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ennemie, intéressée à l’être, et à ses dépendances qui formoient le gros et le fort de la cour, gens avec qui il avoit continuellement à vivre ; enfin en butte au monde en général, comme monde, il menoit une vie d’autant plus obscure qu’elle étoit plus nécessairement éclairée, et d’autant plus cruelle qu’il n’en envisageoit point de fin.

Le roi revenu pleinement à lui, l’insolente cabale tout à fait dissipée par la mort d’un père presque ennemi dont il prenoit la place, le monde en respect, en attention, en empressement, les personnages les plus opposés en air de servitude, ce même gros de la cour en soumission et en crainte, l’enjoué et le frivole, partie non médiocre d’une grande cour, à ses pieds par son épouse, certain d’ailleurs de ses démarches par Mme de Maintenon, on vit ce prince timide, sauvage, concentré, cette vertu précise, ce savoir déplacé, cet homme engoncé, étranger dans sa maison, contraint de tout, embarrassé partout ; on le vit, dis-je, se montrer par degrés, se déployer peu à peu, se donner au monde avec mesure, y être libre, majestueux, gai, agréable, tenir le salon de Marly dans des temps coupés, présider au cercle rassemblé autour de lui comme la divinité du temple qui sent et qui reçoit avec bonté les hommages des mortels auxquels il est accoutumé, et les récompenser de ses douces influences.

Peu à peu la chasse ne fut plus l’entretien que du laisser-courre, ou du moment du retour. Une conversation aisée, mais instructive et adressée avec choix et justesse, charma le sage courtisan et fit admirer les autres. Des morceaux d’histoire convenables, amenés sans art des occasions naturelles, des applications désirables, mais toujours discrètes et simplement présentées sans les faire, des intermèdes aisés, quelquefois même plaisants, tout de source et sans recherche, des traits échappés de science mais rarement, et comme dardés de plénitude involontaire ; firent tout à la