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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/331

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Aubanton effrayé d’une déclaration si compassée, car je me possédois tout entier, mais si nette et si expressive dans ses termes, dans son ton, dans toute ma contenance, et peut-être par le feu échappé de mes regards, déploya pour me ramener le reste de son bien dire. Il m’étala les respects et les désirs de Pontchartrain ; il me représenta adroitement qu’en abandonnant jusqu’à la discipline et au commandement des milices de Blaye, je me faisois un tort à quoi rien ne m’obligeoit, et qui dans la suite me pourroit sembler trop précipité. Je sentis à son discours et à son maintien l’extrême honte que lui donnoit sa misérable ambassade, et les suites que, tout premier commis qu’il étoit d’un cinquième de roi de France, il n’étoit pas hors d’état de prévoir. Toute ma réponse fut un simple sourire, et de me lever. Alors il me conjura de ne pas regarder l’affaire comme finie, je l’interrompis par des honnêtetés personnelles, et de la satisfaction de l’avoir connu, et je l’éconduisis de la sorte.

Outré de colère et d’indignation, je me donnai quelques jours. Mené après toujours par les mêmes motifs, je voulus abuser de ma patience et jouir aussi de l’embarras d’un si misérable ravisseur. Il me dit en paroles entrecoupées qu’il s’estimoit bien malheureux que mon amitié fût au prix de l’impossible. Je répondis d’un air assez ouvert que je la croyois bien au-dessous ; qu’apparemment il avoit vu Aubanton ; que cela étant, la matière étoit épuisée et inutile à traiter. Il répliqua d’un air confondu quelques demi-mots sur l’ancienneté de l’amitié. Je lui dis d’un air simple que je ne demandois jamais ce qu’on ne pouvoit pas ; que je cédois tout, et qu’après cela il n’y avoit plus à en parler. Là-dessus il me donna carte blanche pour nous en rapporter à qui je voudrois. Je n’ignorois pas quel jugement je pouvois attendre entre lui et moi dans une cour aussi servile ; ainsi je répondis qu’à une affaire finie il ne falloit point de juge. Alors il me proposa son père, je n’eus pas la force de le