Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/337

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pour M. de Cambrai, et pour tout ce petit troupeau, qui l’avoit pensé perdre plus d’une fois sans l’en avoir pu détacher le moins du monde, conséquemment pour les jésuites et pour la partie sulpicienne qui n’avoient jamais abandonné M. de Cambrai dans aucun temps. De là un aveuglement sur les matières de Rome et sur le jansénisme, qui ne lui permettoit pas de rien voir ni de rien entendre. Plus le roi avançoit en âge, plus sa faiblesse, toujours sans contre-poids sur ces matières qu’il ignoroit profondément, se trouvoit en proie aux jésuites et aux directeurs de Mme de Maintenon par elle ; plus donc Rome d’une part, les jésuites de l’autre, gagnoient de terrain, et plus M. de Beauvilliers y donnoit à bride abattue, et c’étoit principalement depuis la mort de Pomponne que le grand cours de ces choses avoit commencé, et sans cesse s’étoit augmenté. Torcy pensoit là-dessus tout différemment. Il connoissoit l’inestimable prix de la conservation des droits de la couronne, de celle des libertés de l’école, et de celles de l’Église gallicane ; il ne connoissoit pas moins les ruses des jésuites et la grossièreté des sulpiciens. Il étoit donc souvent opposé sur ces matières au duc de Beauvilliers au conseil. Il étoit extrêmement instruit, avoit beaucoup d’esprit, d’honneur, de probité, de lumières ; mais sage, retenu, timide même, il ne disoit que ce qu’il falloit dire avec douceur et mesure, respect même, mais il le disoit bien, parce qu’il avoit le don de la parole et celui encore de l’écriture ; presque toujours encore la raison étoit de son côté. M. de Beauvilliers, dont le rang d’opiner étoit le pénultième des ministres, suait de l’encre d’entendre Torcy, et plus encore à réfuter son avis qui entraînoit plus que très-souvent les autres ministres. Il sentoit qu’il alloit essuyer le feu du chancelier qui opinoit immédiatement après lui, et qui ne le ménageoit pas, quelquefois même jusqu’à l’indécence, tellement qu’il regardoit Torcy comme un avec le chancelier sur ces matières, et qui lui fournissoit des armes dont le chancelier se servoit contre lui