Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/347

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

changer ; nous parlâmes donc d’autre chose, et Pontchar-train ne revint sur le tapis entre nous deux de trois à quatre jours.

Ce fut le duc qui m’écarta à une promenade du roi pour en faire une avec lui tête à tête, et qui reprit aussitôt ce chapitre, et je vis bien qu’il le faisoit à dessein. Le mien étoit tout préparé ; le sien étoit de m’emporter par une foule de raisons, qui toutes n’étoient que trop bonnes ; je lui laissai dire tout ce qu’il voulut. Il me pressa sur beaucoup de choses et de faits de Pontchartrain : son humeur étrange, sa malice, ses mauvais offices, sa satisfaction à faire du mal, son plaisir à nuire, sa mauvaise grâce à faire du bien, et sa peine à-bien faire, sa passion de s’étendre et d’usurper, son attention à tout abaisser devant lui, l’aversion publique, ses procédés indignes avec un nombre infini de gens de tous états et des plus considérables. Il ne m’apprenoit rien sur tout cela, et de ce dernier point j’en avois l’expérience la plus étrange et la plus fraîche. Ce ne fut pas sans combat intérieur que je l’étouffai dans une crise si décisive.

Quand il en eut bien dit, je lui répondis que n’ayant ni la force de crédit ni la volonté, quand bien même j’aurois la puissance, de m’opposer jamais en quoi que ce fût à lui, je ne pouvois pourtant me résoudre à lui abandonner le fils du chancelier, tout imparfoit, et plus encore, que je le reconnoissois. Je lui parlai d’une manière touchante de mon attachement plein de reconnoissance pour le père, et de ma tendresse pour les petits-fils.

Cette manière de résister à un homme naturellement bon et plein de sentiments le rendit rêveur. Je m’aperçus qu’il commençoit à flotter entre la peine de me voir si ferme et une sorte de satisfaction de la cause que je lui venois d’avouer et de paraphraser. Il ne laissa pas d’insister encore, et moi de répondre sur le même ton sans l’aigrir par des négatives fausses et grossières, mais en lui demandant s’il croyoit Pontchartrain entièrement incorrigible ; il ne