Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/346

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il s’étoit habilement saisi de la confiance du roi, et par elle du secret de la Bastille et des choses importantes de Paris ; il les avoit enlevées à Pontchartrain, à qui en habile homme il n’avoit laissé que les délations des sottises des femmes et des folies des jeunes gens. Il s’étoit ainsi déchargé sur lui de l’odieux de sa charge, surtout des lettres courantes de cachet et se conservoit le mérite envers beaucoup de gens considérables de tous états d’avoir sauvé leurs proches de ses griffes, soit en faisant en sorte de lui en souffler les aventures, ou en diminuant et raccommodant auprès du roi ce qu’il y avoit gâté. Les jésuites, sulpiciens, etc., regardoient Argenson comme leur appui fidèle, et le servoient comme tel auprès du roi et de Mme de Maintenon ; tandis que, comme on l’a déjà dit, ils n’avoient que de l’aversion pour Pontchartrain, tant il les servoit de mauvaise grâce, et n’imputoient la chasse qu’il ne cessoit de faire aux moindres soupçons de jansénisme, qu’au plaisir qu’il prenoit à faire du mal. La singularité d’un si détestable caractère m’a engagé à m’y étendre ; la suite en fera voir encore davantage la nécessité. Avec tant de vices et d’insolence, il étoit d’une vérité à surprendre sur sa naissance ; il n’en disoit pas le tout, mais bien qu’ils étoient de petits bourgeois de Montfort-l’Amaury, et assez pour désespérer La Vrillière, qui étoit glorieux là-dessus fort mal à propos. J’en ai quelquefois vu des scènes très-plaisantes entre eux deux. Comme secrétaire d’État, l’orgueil même.

Le duc de Beauvilliers m’allégua la plupart de ces choses, et j’en sentois à mesure la vérité. Il m’en fit des plaintes amères ; et les parades que j’y donnai ne furent reçues que très faiblement. Je le vis si arrêté dans sa résolution, que je ne jugeai pas à-propos de heurter par une résistance opiniâtre ; je glissai donc, et ne butai qu’à laisser une queue pour pouvoir traiter encore un chapitre si délicat. Cela donnoit lieu à reposer ses idées, et à moi, qui les avois aisément prises, du temps pour le tourner et tâcher de les