Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/373

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qu’il étoit, parce qu’il s’étoit aperçu qu’il n’y avoit qu’à prétendre et entreprendre. Je vins après à la comparaison des grands d’Espagne avec les ducs pairs et vérifiés, qui me donna un beau champ, et en même temps à la politique de Charles-Quint, soigneusement imitée par les rois d’Espagne ses successeurs, qui non content d’avoir si fort élevé leur dignité dans ses États, s’étoit servi de leur étendue et de leur dispersion dans les différentes parties de l’Europe, et de l’autorité que sa puissance lui avoit acquise à Rome et dans d’autres cours, pour leur y procurer le rang le plus grandement distingué, duquel ils y jouissent encore, et qui sert infiniment à faire respecter la couronne d’Espagne au dehors de ses États. Je passai de cet exemple à celui du vaste usage que les papes ont su tirer, pour leur grandeur temporelle, de celle où ils ont porté les cardinaux, dont la dignité se peut appeler littéralement une chimère, puisqu’elle n’a rien de nécessairement ecclésiastique, qu’elle n’en a ni ordres ni juridiction, ainsi laïque avec les ecclésiastiques, ecclésiastique avec les laïques, sans autre solidité que le droit d’élection des papes, et l’usage d’être ses principaux ministres d’État. Me promenant ensuite en Angleterre, chez les rois du nord et par toute l’Europe, je démontrai sans peine que la France seule, entre tous les États qui la composent, souffre en la personne de ses grands ce que pas un des autres n’a jamais toléré, non pas même la cour impériale, quoique si fourmillante de tant de véritables princes, et que la France seule aussi en a pensé périr, et la maison régnante, dont la Ligue, sur tous exemples, me fournit toutes les preuves.

Le Dauphin, activement attentif, goûtoit toutes mes raisons, les achevoit souvent en ma place, recevoit avidement l’impression de toutes ces vérités. Elles furent discutées d’une manière agréable et instructive. Outre la Ligue, les dangers que l’État et les rois ont si souvent courus, jusqu’à Louis XIV inclusivement, par les félonies et les attentats de