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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/394

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et la fausseté même. Il avoit aimé cette fille dès sa naissance préférablement à tous ses enfants, et il n’avoit cessé de l’aimer de plus en plus ; il la craignoit aussi ; et elle, qui sentoit ce double ascendant qu’elle avoit sur l’un et sur l’autre, en abusoit continuellement. M. le duc de Berry, droit et vrai, mais qui étoit fort amoureux, et dont l’esprit et le bien-dire n’approchoit pas de celui de Mme la duchesse de Berry, se laissoit aller souvent contre ce qu’il pensoit et vouloit, et, s’il osoit la contredire, il en essuyoit les plus terribles scènes. M. le duc d’Orléans, qui presque toujours la désapprouvoit, et presque toujours s’en expliquoit très-naturellement à Mme la duchesse d’Orléans et à d’autres, même à M. le duc de Berry, ne tenoit pas plus que lui devant elle, et s’il pensoit vouloir lui faire entendre raison, les injures ne lui coûtoient rien : elle le traitoit comme un nègre, tellement qu’il ne songeoit après qu’à l’apaiser et à obtenir son pardon, qu’elle lui faisoit bien acheter. Ainsi, pour l’ordinaire, il donnoit raison à elle et à Mme la duchesse d’Orléans sur les sujets de leurs brouilleries, ou sur les choses que l’une faisoit et que l’autre improuvoit, et c’étoit un cercle dont on ne pouvoit le sortir. Il passoit beaucoup de temps par jour avec elle, surtout tête à tête dans son cabinet.

On a vu (t. VIII, p. 278) que le monde s’étoit noirci de fort bonne heure d’une amitié de père qui, sans les malheureuses circonstances de cabales enragées, n’auroit jamais été ramassée de personne. La jalousie d’un si grand mariage, que ces cabales n’avoient pu empêcher, se tourna à tâcher de le rendre infructueux ; et l’assiduité d’un père malheureusement né désœuvré, et dont l’amitié naturelle et de tout temps trouvoit de l’amusement dans l’esprit et la conversation de sa fille, donna beau jeu aux langues de Satan. Leur bruit fut porté jusqu’à M. le duc de Berry, qui, de son côté, voulant jouir en liberté de la société de Mme sa femme, s’importunoit d’y avoir presque toujours son beau-