Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/77

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soutint. Son mari étoit bien gentilhomme, et elle demoiselle. Mme de Maintenon ne l’appeloit que sa belle veuve, et la fit une des deux sous-gouvernantes des enfants de France.

Jeannette étoit une demoiselle de Bretagne dont le nom est Pincré ; son père mourut et laissa sa femme sans pain avec un tas d’enfants tous petits. Réduite à la mendicité, elle s’en vint avec eux, comme elle put, se jeter à genoux au carrosse dans lequel Mme de Maintenon s’en alloit à Saint-Cyr. Elle étoit charitable, se fit informer de cette malheureuse famille, leur donna quelque chose, plaça les enfants, selon leur âge, où elle put, et prit une petite fille tout enfant chez elle, qu’elle mit avec ses femmes en attendant que ses preuves fussent faites, et elle en âge d’entrer à Saint-Cyr. Cette enfant étoit très-jolie ; elle amusa les femmes de Mme de Maintenon par son petit caquet, et bientôt elle l’amusa elle-même. Le roi la trouva quelquefois comme on la renvoyoit, il la caressa, elle ne s’effaroucha point de lui, il fut ravi de trouver une jolie petite enfant à qui il ne faisoit point peur, il s’accoutuma à badiner avec elle, et si bien que lorsqu’il fut question de la mettre à Saint-Cyr, il ne le voulut pas. Devenue plus grandelette, elle devint plus amusante et plus jolie, et montra de l’esprit et de la grâce, avec une familiarité discrète et avisée qui n’importunoit jamais. Elle parloit au roi de tout, lui faisoit des questions et des plaisanteries ; le tirailloit quand elle le voyoit de bonne humeur, se jouoit même avec ses papiers quand il travailloit, mais tout cela avec jugement et mesure. Elle en usait de même avec Mme de Maintenon, et se fit aimer de tous ses gens. Mme la duchesse de Bourgogne à la fin la ménageoit, la craignoit même, et la soupçonnoit d’aller redire au roi. Néanmoins elle n’a jamais fait mal à personne. Mme de Maintenon elle-même commença à lui trouver trop d’esprit et de jugement, et que le roi s’y attachoit trop. La crainte et la jalousie la déterminèrent à s’en défaire honnêtement par