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Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 9.djvu/97

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Pour peu qu’il en eût lu au roi quelques endroits principaux en injures et en adresse, qu’il eût su les paraphraser, profiter de la disposition du roi à cet égard, lui faire sentir la cabale, le désir de faire du bruit, et combien deux plats évêques de campagne étoient peu capables d’eux-mêmes d’enfanter ce dessein, et de l’exécuter avec tant d’art, d’éclat et de hauteur, il auroit déterminé le roi à imposer de façon que l’affaire auroit été dès là étouffée. Mais le cardinal lent, doux, peu né pour la cour et pour les affaires, plein de confiance en sa conscience et en ce qu’il étoit en soi et auprès du roi, se tint pour content d’avoir remis les choses, à la fin de son audience, où elles en étoient avant la lettre des deux évêques, et ne douta point de recevoir une satisfaction convenable, telle que le roi la lui avoit promise lorsqu’il lui en avoit parlé la première fois.

À son tour le P. Tellier eut son audience. Il y eut moyen de piquer le roi de nouveau sur son autorité, et sur la protection due à des prélats infimes et abandonnés, qui se trouvoient à la veille d’être persécutés pour la bonne doctrine. L’évêque de Meaux avoit de son côté travaillé auprès de Mme de Maintenon, de manière que, lorsque huit jours après le cardinal de Noailles revint à l’audience, il fut bien étonné que le roi lui fermât la bouche sur cette affaire, et lui déclarât que, puisque sans lui il s’étoit fait justice à lui-même, il n’avoit qu’à s’en tirer tout comme il voudroit sans l’y mêler davantage, et que c’étoit tout ce qu’il pouvoit de plus en sa faveur. C’étoit bien là où on en vouloit venir pour les deux évêques, qui ne s’étoient plaints que pour se soustraire à ce que méritoit l’injure qu’ils avoient faite, et qui, ainsi mis hors de cour, se trouvoient après une calomnie si publique, et sur la foi, égalés au cardinal de Noailles, malgré tant et de si grandes disproportions.

Dans ce fâcheux état, le cardinal dit au roi que, puisqu’il l’abandonnoit à la calomnie et à l’insulte, sans même avoir pu mériter ni deviner ce qui lui arrivoit, il le supplioit au