Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/117

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

moins commun, et celui de Saint-Michel tiré de la boue où on l’a jeté, et remis en honneur pour rendre plus réservé celui de l’ordre du Saint-Esprit. Pour les charges, il ne comprenoit pas comment le roi avoit eu pour ses ministres la complaisance de laisser tomber les premières après les grandes de sa cour dans l’abjection où de l’une à l’autre toutes sont tombées. Le Dauphin auroit pris plaisir d’y être servi et environné par de véritables seigneurs, et il auroit illustré d’autres charges moindres, et ajouté quelques-unes de nouveau pour des personnes de qualité moins distinguées. Ce tout ensemble, qui eût décoré sa cour et l’État, lui auroit fourni beaucoup plus de récompenses. Mais il n’aimoit pas les perpétuelles, que la même charge, le même gouvernement devînt comme patrimoine par l’habitude de passer toujours de père en fils. Son projet de libérer peu à peu toutes les charges de cour et de guerre, pour en ôter à toujours la vénalité, n’étoit pas favorable aux brevets de retenue ni aux survivances, qui ne laissoient rien aux jeunes gens à prétendre ni à désirer.

Quant à la guerre, il ne pouvoit goûter l’ordre du tableau [1] que Louvois a introduit pour son autorité particulière, pour confondre qualité, mérite et néant, et pour rendre peuple tout ce qui sert. Ce prince regardoit cette invention comme la destruction de l’émulation, par conséquent du désir de s’appliquer, d’apprendre, et de faire, comme la cause de ces immenses promotions qui font des officiers généraux sans nombre, qu’on ne peut pour la plupart employer ni récompenser, et parmi lesquels on en trouve si peu qui aient de la capacité et du talent, ce qui remonte enfin jusqu’à ceux qu’il faut bien faire maréchaux de France, et entre ces derniers jusqu’aux généraux des armées, et dont l’État éprouve les funestes suites, surtout depuis le commencement de ce siècle, parce que ceux qui ont précédé

  1. Voy., sur l’ordre du tableau, t. VII, p. 387, note.