Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/132

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aussi par une décision opiniâtre et par une hauteur extrême.

M. le duc d’Anjou tétoit encore. La duchesse de Ventadour, aidée des femmes de la chambre, s’en empara, ne le laissèrent point saigner ni prendre aucun remède. La comtesse de Verue, empoisonnée à Turin, et prête à mourir, avoit été sauvée par un contre-poison qu’avoit le duc de Savoie. Elle en avoit apporté en revenant. La duchesse de Ventadour lui en envoya demander, et en donna à M. le duc d’Anjou seulement, parce qu’il n’avoit pas été saigné, et que ce remède ne peut aller avec la saignée. Il fut bien mal, mais il en réchappa et est roi aujourd’hui. Il l’a su depuis et a toujours marqué une vraie distinction à Mme de Verue, et pour tout ce qui l’a regardée. Trois Dauphins moururent donc en moins d’un an, dont un seul enfant, et, en vingt-quatre jours, le père, la mère et le fils aîné. Le mercredi 9 mars, le corps du petit Dauphin fut ouvert. Dans la nuit, et sans aucune cérémonie, son cœur fut porté au Val-de-Grâce à Paris, et son corps à Saint-Denis, et placé sur la même estrade avec ceux de M. [le Dauphin] et de Mme la Dauphine, ses père et mère. M. le duc d’Anjou, désormais unique, succéda au titre et au rang de Dauphin.

J’ai omis ce qui se passa au réveil du roi à la mort de Mgr le Dauphin, parce que ce ne fut que la répétition parfaite de ce qui s’y passa à la mort de Mme la Dauphine, qui a été raconté. Le roi embrassa tendrement M. le duc de Berry à plusieurs reprises, lui disant : « Je n’ai donc plus que vous. » Ce prince étoit fondu en larmes ; on ne peut être plus amèrement ni plus longtemps affligé qu’il le fut. Mme la duchesse de Berry n’osa s’échapper. Elle tint assez honnête contenance. Au fond sa joie étoit extrême de se voir elle et son époux les premiers. L’affliction et l’horreur de ces coups redoublés furent inconcevables en Espagne.

À la mort de la reine, de la dauphine de Bavière, de Monsieur, en un mot à toutes ces grandes obsèques, excepté à la