Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/136

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me rejetai chez moi, d’où je ne sortis presque plus du reste du voyage, que pour aller passer les après-dînées auprès du duc de Beauvilliers, enfermé chez lui où il ne laissoit entrer presque personne. J’avoue que je faisois le détour entre le canal et les jardins de Versailles, pour arriver à l’hôtel de Beauvilliers par la porte de l’Orangerie qu’il joignoit, pour me dérober à la vue de ce qui paraissoit de funèbre, dont aucun devoir ne me put faire approcher. Je conviens de la faiblesse. Je n’étois soutenu ni de la piété supérieure à tout du duc de Beauvilliers, ni d’une semblable à celle de Mme de Saint-Simon, qui toutefois n’en souffroient pas moins. La vérité est que j’étois au désespoir. À qui saura où j’en étois arrivé, cet état paroîtra moins étrange que d’avoir pu supporter un malheur si complet. Je l’essuyois précisément au même âge où étoit mon père quand il perdit Louis XIII ; au moins en avoit-il grandement joui, et moi, Gustavi paululum mellis, et ecce morior ! Ce n’étoit pas tout encore.

Il y avoit dans la cassette du Dauphin des mémoires qu’il m’avoit demandés. Je les avois faits en toute confiance, lui les avoit gardés de même. J’y étois donc parfaitement reconnoissable. Il y en avoit même un fort long de ma main, qui seul eût suffi pour me perdre sans espérance de retour auprès du roi. On n’imagine point de pareilles catastrophes. Le roi connoissoit mon écriture ; il ne connoissoit pas de même ma façon de penser, mais il s’en doutoit à peu près. J’y avois donné lieu quelquefois, et de bons amis de cour y avoient suppléé de leur mieux. Ce péril ne laissoit pas de regarder assez directement le duc de Beauvilliers, un peu plus au lointain le duc de Chevreuse. Le roi qui par ces mémoires m’auroit aussitôt reconnu, y auroit en même temps découvert la plus libre et la plus entière confiance entre le Dauphin et moi, et sur des chapitres les plus importants, et qui lui auroient été les moins agréables, et il ne se doutoit seulement pas que j’approchasse de son petit-fils plus que