Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/145

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ces médecins, qu’il ne disoit que la vérité, comme il l’avoit vue et comme il la pensoit ; que parler autrement c’étoit vouloir deviner, et faire en même temps tout ce qu’il falloit pour faire mener au roi la vie la plus douloureuse, la plus méfiante et la plus remplie des plus fâcheux soupçons, les plus noirs et en même temps les plus inutiles ; et que c’étoit effectivement l’empoisonner. Il se prit après à l’exhorter, pour le repos et la prolongation de sa vie, à secouer des idées terribles en elles-mêmes ; fausses suivant toute son expérience et ses connoissances, et qui n’enfanteroient que les soucis et les soupçons les plus vagues, les plus poignants, les plus irrémédiables ; et se ficha fortement contre ceux qui s’efforçoient de les lui inspirer.

Il me conta ce détail ensuite, et me dit en même temps que, outre qu’il croyoit que la mort pouvoit être naturelle, quoique véritablement il en doutât à tout ce qu’il avoit remarqué d’extraordinaire ; mais qu’il avoit principalement insisté par la compassion de la situation de cœur et d’esprit où l’opinion de poison alloit jeter le roi, et par l’indignation d’une cabale qu’il voyoit se former dans l’intérieur, dès la maladie, et surtout depuis la mort de Mme la Dauphine, pour en donner le paquet à M. le duc d’Orléans, et qu’il m’en avertissoit comme son ami et le sien ; car Maréchal qui étoit effectif, et la probité, et la vérité, et la vertu même, étoit d’ailleurs grossier, et ne savoit ni la force ni la mesure des termes, étant d’ailleurs tout à fait respectueux et parfaitement éloigné de se méconnoître.

Je ne fus pas longtemps, malgré ma clôture, à apprendre d’ailleurs ce qui commençoit à percer sur M. le duc d’Orléans. Ce bruit sourd, secret, à l’oreille, n’en demeura pas longtemps dans ces termes. La rapidité avec laquelle il remplit la cour, Paris, les provinces, les recoins les moins fréquentés, le fond des monastères les plus séparés, les solitudes les plus inutiles au monde et les plus désertes, enfin les pays étrangers et tous les peuples de l’Europe, me