Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/188

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Ruffec, avec un gentilhomme nommé Ponthieu, à coups de pistolet, et en perdit le bras droit. Armentières se trouva dans un régiment employé à la Rochelle, où le maréchal de Chamilly commandoit. La maréchale, qui avoit beaucoup d’esprit et qui étoit la piété et la vertu même, trouva de l’esprit et du savoir à d’Armentières. Ravie de rencontrer quelqu’un à qui parler, elle s’en accommoda, mit le chevalier dans leurs milices, les aida de tout ce qu’elle put ; de retour les hivers à Paris, les y fit venir, les vanta, les produisit chez elle à la meilleure compagnie qui y étoit toujours, et les mit ainsi dans le monde ; eux en surent profiter et se faire connoître ailleurs.

Je ne sais comment Armentières fit connoissance, puis amitié, avec Mme d’Argenton. M. le duc d’Orléans y soupoit tous les soirs quand il étoit à Paris, ses sociétés y étoient assez étranges, et quoique chez sa maitresse, il ne laissoit pas d’être difficile à amuser. L’esprit fort orné d’Armentières, et sa religion à peu près de la trempe de celle de M. le duc d’Orléans, firent juger à Mme d’Argenton qu’il lui seroit d’usage à amuser M. le duc d’Orléans. Elle lui en parla comme de son ami dont il s’accommoderoit ; elle le lui présenta ; il fut de tous les soupers, et M. le duc d’Orléans le goûta. Cela dura du temps, pendant lequel Armentières, qui cherchoit à s’accrocher, fit des connoissances au Palais-Royal, s’introduisit chez Mme de Jussac, dans les temps qu’elle venoit à Paris.

Cette Mme de Jussac, étant fille, avoit été demoiselle de la première femme de mon père, qui la donna par confiance à sa fille, lorsqu’elle la maria au duc de Brissac, et elle ne l’a jamais oublié. Elle passa de là à Mme de Montespan où elle vit le grand monde et la plus fine compagnie. C’étoit une personne bien faite, de bonne mine, qui n’avoit pas été sans beauté, mais qui avec de l’esprit avoit encore plus de vertu et de sagesse, et qui avec une grande douceur et beaucoup de circonspection se fit généralement aimer et estimer.