Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/276

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avoit tous ceux de Chevreuse et de la forêt de Saint-Léger et d’autres contigus. Il imagina de paver un chemin qui déblayât facilement ces bois, mais il ne s’en trouva pas plus avancé quand ce pavé fut achevé. Il se tourna ensuite à former un canal qui pût flotter à bois perdu jusqu’à la Seine. Il en fit bien les deux tiers, et vit après qu’il n’y passeroit jamais un muid d’eau. Les acquisitions, les dédommagements, les frais furent immenses ; il se trouva accablé d’affaires et de dettes, et obligé à la fin à vendre la forêt de Saint-Léger et beaucoup de terres et d’autres bois au comte de Toulouse, qui en décupla sa terre de Rambouillet, mais qui firent presque de Dampierre une maison sans dépendances. Il fit aussi et refit, à diverses reprises, des échanges avec Saint-Cyr, et c’est ce qui fit transporter le titre et l’ancienneté de Chevreuse sur Montfort-l’Amaury ; en un mot, il étoit presque sans ressource lorsque le gouvernement de Guyenne lui tomba de Dieu et grâce, sans qu’il y eût pensé, comme on l’a vu en son temps. Sa santé, il la conduisit de même. Il avoit eu la goutte dès l’âge de dix-neuf ans, sans l’avoir jamais méritée, mais elle lui venoit de race. L’exemple de son père lui fit peur ; il ne l’avoit pas méritée davantage, et il en étoit accablé, et dans la suite ses frères le furent encore davantage. Il se réduisit donc à un régime qui lui réussit pour la goutte qu’il n’eut que rare et foible, et pour le préserver de maladies, mais qu’il outra et qui le tua. M. de Vendôme, qui avoit quelquefois mangé avec lui à Marly, dans les premiers temps que le roi aimoit qu’on allât à la table du grand maître, disoit plaisamment au roi que M. de Chevreuse s’empoisonnoit d’eau de chicorée pendant tout un repas, pour avoir le plaisir de boire à la fin une rasade de vin avec du sucre et de la muscade. En effet, c’étoit sa pratique. En affaires et en santé, le mieux chez lui étoit le plus grand ennemi du bien.

Jamais homme ne posséda son âme en paix comme celui-là ; comme dit le psaume, il la portoit dans ses mains. Le