Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/33

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toujours auprès du roi d’Espagne à Saragosse et à Corella. L’ambition de gouverner, facilitée de la considération et des accès que le neveu de Mme de Maintenon trouvoit dans une cour qu’il avoit déjà fort pratiquée, jointe à celle que lui donnoit son emploi dans l’armée, dont il en avoit commandé une en chef, et ses liaisons intimes avec M. de Vendôme dont on a vu en son temps l’origine, engagèrent le duc de Noailles à une folie et à tenter ce qui ne pouvoit que le perdre, au lieu de se contenter des prospérités les plus flatteuses dont il jouissoit avec solidité.

Il trouva à Saragosse le marquis d’Aguilar, duquel j’ai parlé plus d’une fois, qui avoit quitté la charge de colonel du régiment des gardes espagnoles, pour celle de capitaine de ]a première compagnie des gardes du corps espagnole qui l’approchoit davantage du roi. Tous deux s’étoient connus aux voyages précédents que le duc de Noailles avoit faits près du roi d’Espagne. Tous deux s’étoient plu. Ils avoient lié ensemble une amitié conforme à leur génie, à leur esprit, à leur caractère qui étoit parfaitement homogène. Je ne sais lequel des deux imagina le projet, mais il est certain que tous deux l’embrassèrent, agirent d’un grand concert, et n’oublièrent rien pour un succès qu’ils crurent les devoir porter à devenir en Espagne les maîtres de la cour et de l’État.

La reine étoit attaquée des écrouelles qui la conduisirent enfin au tombeau. Son mal l’empêchoit de suivre le roi aux chasses continuelles et aux promenades, la tenoit encore dans la retraite de son appartement, dans d’autres temps qu’elle passoit auparavant avec le roi, la rendoit particulière et beaucoup moins accessible au public, et l’obligeoit à une coiffure embéguinée, qui lui cachoit la gorge et une partie du visage. Les deux amis n’ignoroient pas que le roi ne pouvoit se passer d’une femme, et qu’il étoit accoutumé à s’en laisser gouverner. Ils se persuadèrent que l’empire dont la princesse des Ursins jouissoit n’étoit fondé que sur celui que