Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/387

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les plus secrets de leur compagnie, dans la plus étroite liaison et la plus réciproque confiance avec le cardinal Fabroni. J’ignore s’il étoit de ceux que les jésuites savent s’approprier à Rome, depuis les plus éminents personnages jusqu’aux plus obscurs par leurs présents, et les pensions proportionnées à l’état et au service qu’ils en tirent. Cette politique ne leur est pas nouvelle, et les a de tout temps bien utilement servis, elle n’est pas même ignorée ; mais ni ceux qu’ils soudoient, ni ceux qui sont soudoyés, n’ont garde de s’en vanter. À l’égard de Fabroni, la mince fortune où il est né, celle qu’il a faite, l’appui déclaré qu’il a trouvé chez les jésuites dans tous les temps de sa vie, celui qu’il leur a rendu à découvert aussitôt qu’il s’est vu en état de le faire, l’application, la suite et souvent la fureur qu’il a montrée à soutenir toutes leurs causes, tous leurs intérêts, ceux même des personnes en qui ils en ont pris, ont pu faire croire qu’il ne leur étoit pas vendu pour rien, parce qu’il est vrai et public, et lui-même ne s’en cachoit pas, qu’il étoit plus ardent jésuite que les plus forcenés de l’espèce même du P. Tellier, et plus occupé qu’eux-mêmes de leurs affaires.

C’étoit un bourgeois de Pistoie, venu à Rome avec de l’esprit, de la scolastique, du feu, de l’application au travail le plus ingrat, et la résolution de percer à quelque prix que ce pût être. Porté constamment par les jésuites, il parvint à quarante ans à être, en 1691, secrétaire des mémoriaux, et quatre ans après secrétaire de la congrégation de la propagation de la foi, où il eut moyen de déployer son savoir-faire en faveur de ses patrons. On ne connoît plus à Rome que le droit canon, et à leur mode, et la scolastique. Le cardinal Albane, qui étoit jeune et peu foncé, se livra à Fabroni pour le conduire dans sa fonction de secrétaire des brefs ; il s’en trouva bien. Il s’accoutuma si fort à le consulter dans la suite, et peu à peu il se laissa tellement subjuguer à cet esprit haut et violent, qu’il devint son maître. Devenu pape,