Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/389

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avec une audace et une autorité qui ne craignoit rien. Il lui dit donc qu’il ne pouvoit douter qu’instruit comme il l’étoit, il ne pensât comme il devoit sur l’affaire de l’Église qui étoit portée à Rome, mais qu’il ne suffisoit pas à un homme établi comme il l’étoit de bien penser, comme il supposoit et vouloit se persuader qu’il pensoit bien, mais qu’il falloit encore bien faire, non-seulement bien faire, mais tout faire, tout entreprendre, tout exécuter pour mettre la bonne doctrine à couvert, et pour écraser une fois pour toutes ce parti séditieux qui troubloit l’Église depuis si longtemps ; que le roi y étoit entièrement disposé, que le succès en étoit assuré, que c’étoit à lui de voir quel parti il vouloit y prendre, se perdre auprès du roi à qui il devoit tout, et de qui il se pouvoit, en se conduisant bien, se promettre encore bien davantage, ou demeurer dans une neutralité qui ne pourroit pas se soutenir longtemps, et qui le déshonoreroit et lui ôteroit en attendant toute considération ; ou enfin, s’attacher au devoir de son état, de sa reconnoissance pour le roi, en se déclarant pour l’Église et pour la bonne cause, et pour ne lui rien celer, en n’y ménageant rien et en marchant dans un concert intime, entier, inaltérable, avec ceux qui en faisoient leur affaire, et qui lui répondoient en prenant ce parti, mais en s’y engageant de la sorte, qu’il pouvoit compter sur la charge de grand aumônier, et sur tous les agréments, les grâces, les privances et toute la confiance du roi. Rohan fut étrangement étourdi d’un compliment si net, et qui lui présentoit si à découvert la paix ou la guerre. Il balbutia, et dans son trouble il ne put rien tirer de lui-même que des compliments, et tout ce que l’incertitude et l’étonnement put couvrir sous les plus grandes politesses. Ce n’étoit pas la monnaie dont Le Tellier se payoit ; il se leva froidement, dit au cardinal qu’il s’aviseroit ; que, comme il désiroit d’être son serviteur, il souhaitoit et il espéroit que ce seroit bien, et que, lorsque ses réflexions seroient faites, il comptoit qu’il lui en feroit part, mais qu’il devoit l’avertir