Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/397

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Quelque peu de cas que les jésuites fissent de l’esprit léger et du cœur encore plus volage du cardinal de Polignac, il étoit cardinal, et ils ne voulurent pas le mécontenter. La rage de courtisan, sous laquelle il gémit toute sa vie, lui avoit fait passionnément désirer la charge de maître de la chapelle du roi, c’est-à-dire uniquement des musiciens de la chapelle, depuis qu’elle vaquoit par la mort de l’archevêque de Reims. Devenu cardinal, il ne la souhaita pas moins, et, bien que d’autres cardinaux l’eussent possédée, il crut que sa pourpre y flatteroit le roi, contribueroit à la lui faire donner, et feroit encore plus sa cour ; il ne se trompa pas, surtout avec le concours des jésuites ; mais sa nouvelle dignité fit un embarras.

Cette charge, qui n’est pas des premières, ni même des secondes, ne prête serment qu’entre les mains du grand maître de la maison du roi, et ce grand maître étoit un prince du sang. Comment donc oser lui souffler un droit acquis, mais comment aussi ployer la pourpre romaine à cette sorte d’humiliation ? Le respect du roi, légué par le Mazarin, pour cette sacrée pourpre l’emporta cette fois sur celui dont il se montroit si jaloux pour les princes de son sang. M. le Duc étoit son petit-fils, et dans la première jeunesse. Il donna la chapelle à Polignac, et régla que, pour cette fois et sans conséquence, sous prétexte d’être pressé d’entrer en fonctions, il profiteroit du voyage que M. le Duc alloit faire pour la première fois en Bourgogne et y tenir les états, pour de son consentement prêter, en son absence, serment entre les mains du roi, et cela se fit tout de suite avec la charge de grand aumônier.

En même temps, le cardinal de Polignac reçut le bonnet des mains du roi, présenté par l’abbé Howard, camérier du pape. C’étoit raison qu’un camérier anglois apportât une barrette de la nomination du roi d’Angleterre, mais ce ne l’étoit pas que le nommé fût le négociateur à Utrecht de tout ce qui fut convenu contre le prince à qui il devoit sa fortune.