Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/419

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Je n’entreprendrai point de percer un mystère qui se passa tête à tête entre Mlle de Conti et Mme la princesse sa grand’mère. Ce qui est certain, c’est que les apparences ne parurent pas pour Mlle de Conti, qui trahit le secret qu’elle avoit promis. Mme la Princesse n’avoit jamais passé pour avoir de l’esprit ni de la résolution. Son état et sa vertu la faisoit respecter extérieurement dans sa famille ; son peu de lumière et de force l’y faisoit mépriser en effet ; en sorte qu’avec des millions dont elle étoit maîtresse absolue de disposer comme elle eût voulu par la nature des biens, et par les lois et les coutumes, elle ne laissa pas d’être toujours comptée pour rien, et de n’influer pas le moins du monde sur quoi que ce soit dans sa famille. Sa timidité étoit extrême avec le roi ; elle en avoit à l’égard de tout le monde, et de tous ses enfants. M. le Prince l’avoit matée jusqu’à l’avoir abrutie, et la disposition naturelle y étoit entière. Il est donc très-difficile d’imaginer qu’elle ait pris d’elle-même, et subitement, la vue d’un double mariage sûrement à faire malgré les mères veuves, et dans la plus vive aigreur l’une contre l’autre, qui de plus ne s’étoient jamais aimées ; de rompre pour cela avec la même violence un mariage goûté et comme arrêté ; et d’opérer tout cela par l’autorité absolue du roi sans nul autre instrument auprès de lui qu’elle-même ; tandis que Mlle de Conti faisoit par là le plus grand mariage qu’elle pût espérer, et l’unique auquel son âge et sa naissance lui pussent permettre d’arriver, et d’espérer de ne passer pas le reste de sa jeunesse dans l’ennui et dans l’esclavage sous lequel elle se désespéroit.

La résolution prise par Mme la Princesse d’aller parler au roi, Mlle de Conti se trouva bien embarrassée pour se tirer d’affaires avec Mme sa mère et avec Mme la duchesse de Berry. Entre la résolution et l’exécution il n’y eut qu’un point, parce qu’il étoit à craindre que, les choses avancées autant qu’elles l’étoient entre M. [le duc] et Mme la duchesse d’Orléans et Mme la princesse de Conti, ils n’en parlassent au