Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 10.djvu/429

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ma haine, mes résolutions, mes projets ; quoi qu’il en fût, je ne pus résister au chancelier.

Il n’osa exiger de Mme de Saint-Simon la même complaisance. La mémoire de sa chère cousine étoit trop avant dans son cœur pour lui permettre de voir une cérémonie qui la lui rappelleroit d’une manière si touchante. Elle ne put même répondre à tout ce que la nouvelle femme lui prodigua d’avances ; la place qu’elle tenoit lui fut insupportable. Elle le lui avoua, et ne la vit presque point.

Pour moi, je fus donc à la noce comme on va à la potence. Elle fut faite à Pontchartrain avec un très-petit nombre de personnes. L’évêque de Chartres diocésain les maria. Le chancelier et la chancelière ne cessèrent d’y pleurer leur première belle-fille ; ils ne s’en cachèrent pas même. Les amis et les proches s’en contraignirent peu. Tout le domestique ne discontinua d’être en larmes. Ce qui s’y trouva du côté de Mlle de Verderonne demeura dans un sombre que les maussaderies du bel époux ne rassérénèrent pas. Jamais je ne trouvai deux jours si longs en ma vie.

De si tristes noces font souvenir de la mort, et pénètrent de réflexions. Aussi apprit-on la mort d’une fille du maréchal de Villeroy, mariée à Lisbonne au comte de Prado en 1688, dont nous avons vu longtemps le fils logé, nourri et entretenu de tout très-noblement par le maréchal de Villeroy, avec lequel il fit quelques campagnes, et longtemps depuis la paix à Paris. Il s’appeloit J. de Souza, et il étoit troisième marquis Das Minas, sixième comte de Prado, huitième seigneur de Beriguel, gentilhomme de la chambre du roi de Portugal, conseiller de guerre, mestre de camp général dans ses troupes, général de sa cavalerie, tous grands titres qui s’acquièrent promptement et ne sont pas grand’-chose. L’entêtement du roi de Portugal pour la grandeur de la dignité de patriarche de Lisbonne qu’il avoit obtenue du pape pour le siége de cet archevêché dont il fit un colosse, causa l’exil du comte de Prado et la confiscation du peu qu’il